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Robert Frank, Valencia 1952, Steidl / La Fabrica, 2012.

La lumière blanche entre par la fenêtre — que l’on ne voit pas —, sur la gauche. L’encadrement de la porte n’est pas droit mais c’est tant mieux parce qu’au centre un homme brun et une femme en tablier font tenir leur corps dans la danse susurrée de leur amour. Ses mains à elle ne sont que délicatesse, qu’une caresse ; lui vacille ou en donne l’impression parce qu’il l’aime et qu’il goûte sa chance en collant sa joue contre la sienne. Les sens émus.

Un jour, Robert Frank, l’homme sur la photographie, a déclaré qu’il y « a une chose que doivent contenir les photographies, c’est l’humanité du moment ». Elliott Erwitt, l’auteur de cette photographie, a réussi dans ce cliché à rendre vrai et physique le précepte de son ami Robert Frank.

En 1952, Robert Frank a vécu quelques mois dans un quartier de Valence avec sa femme Mary. Il a photographié autour de lui, sans but, sans volonté de reportage. Ses photographies n’étaient pas des vitrines. Il a photographié des instants banals de la vie sous ses yeux à l’époque du dogmatisme naissant de « l’instant décisif ». Frank a fait ces photos comme il danse avec sa femme dans cette cuisine petite et vivante. Il a saisi une part de lui-même dans les yeux de ces gens, c’est visible et palpable. Il y a des enfants, beaucoup, des enfants qui jouent, des enfants dans la rue, des enfants à la fête. Et puis des vieux aussi. Beaucoup aussi, comme si les vieux étaient ce qui nous rapprochait le plus du touché de la mort et du vide.

Elliott Erwitt a saisi dans ce cliché toute « l’humanité du moment » d’un homme suspendu au fil d’un bonheur qu’il savait peut-être éphémère… Ses photographies le disent. — Laurent Larrieu