Le monde est matérialiste, le plus menu peuple compris. Il croit plus à rien qu’au tangible. C’est comme ça… l’évaporation des Légendes.
Louis-Ferdinand Céline.
Morante de la Puebla existe, même s’il agace profondément une partie de la nouvelle afición, nourrie à la télévision et aux réseaux sociaux, et qui exige des toreros à peu près la même régularité dans le rendement et la production que Mac Donald pour ses hamburgers. Que ce soit de la merde importe peu finalement.
Morante de la Puebla ne peut pas entrer dans ce monde-là même s’il essaye de s’y glisser, de manière très contestable, avec son bus à gogos, ou son annonce de temporada au Hot… Euh… au Joy Eslava… Celui de la Puebla ferait mieux de rester rare et s’inspirer du mystère cultivé par José Tomás. Ce qui, à bien y regarder, importe peu finalement. Car Morante existe, taurinement, comme ont pu exister avant lui, Curro ou Rafael. Vous pouvez me jeter des cailloux.
Si Rafael et Curro pouvaient aujourd’hui fouler les ruedos, la nouvelle afición, éduquée par Facebook et twitter, ce n’est pas d’escrocs qu’elle les qualifierait, c’est purement et simplement le rétablissement de la peine de mort qu’elle réclamerait pour eux.
Bilbao… 23 août 2011…
Morante de la Puebla croise un Nuñez del Cuvillo teigneux, compliqué, qui commence par le mettre en déroute à la cape. Muleta en mains, il débute par des doblones telluriques, d’un autre âge, puis servira le toreo éternel, et d’une manière plus technique, plus puissante sans doute que n’auraient pu le faire avant lui Curro ou Rafael. Les similitudes ont leurs limites et elles ne sont pas forcément en la défaveur de Morante.
Dans la revue Toros (numéro 1911) Joël Bartolotti rend compte de l’évènement, et égrène les références du toreo auxquelles renvoie l’exploit de Morante : Joselito (le grand, Gallito) ressuscité (sic), Belmonte pour un molinete baroque, Domingo Ortega pour la domination… L’ex-directeur de Toros évoque une lidia réinventée, et le toreo d’antan réalisé avec un brio exceptionnel face à un toro intégral, d’un grand trapío, supérieurement armé et ayant reçu trois grosses piques. Fantasme ? Non. Et il termine : « Morante est ailleurs, son triomphe est imbibé des meilleures tauromachies, celles de Rafael, de José, de Juan, de Marcial et Pepe Luis… »
On en resterait presque sans voix, et d’ailleurs on en reste sans voix. Il en va de cette après-midi de 2011 comme il en va de celle de Paula à Vista Alegre. Ça s’est passé, ils l’ont fait, ça a vraiment existé. Et ça se suffirait presque. Ce genre de « miracle » n’a pas vocation à être reproduit, mais il marque l’Histoire, crée la légende.
Reste que si l’on veut redevenir simple mortel on peut faire remarquer que Curro Romero est sorti sept fois par la grande porte de Madrid et que l’on peut reprocher à Morante d’être très en deçà de cette statistique. Certes. Mais Morante a, lui, tué deux fois six toros à Madrid, et des Victorino à Séville, dont Curro ignore tout (de Victorino, pas de Séville !). Ces comparaisons n’ont de toute façon pas vraiment de sens. Les similitudes ont leurs limites.
Pour la suite il va sans doute falloir attendre, peut-être pour rien, ce qui fait aussi partie de l’essence de la fiesta.
En attenant et concernant Morante nous ne pouvons que vous engager à lire le « Morantissime de la Puebla » de Jacques Durand (et Dithyrambes de Fernando Arrabal) édité par les Editions Atelier BAIE.