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Gueule de bois

DSC_5641Je venais de sauter à bord du métro après m’être extirpé de la foule qui encombrait le parvis des arènes de Valence, m’être engouffré dans la bouche de métro bondée, et avoir snobé l’escalier mécanique pour dévaler les marches quatre par quatre et accéder au quai. Je sentais le besoin de sortir de ces arènes, étourdi et étouffé par cette ivresse qui s’était emparée d’une trop grande partie du public.
J’ai reconnu ce type à l’instant même où j´entrais dans la rame. C’est probablement la personne que j’ai le plus photographiée durant ces férias de Fallas et pourtant, c’est un parfait anonyme. Je ne m’applique pas beaucoup pour lui tirer le portrait, parfois je me distrais et il m’échappe. Son image est purement informative. Mon sujet de photographie éclaire est la personne en charge de présenter le panneau où est résumée l’identité du toro avant son entrée en piste. Barbe de trois jours, front haut, moue de clown triste, et surtout son œil gauche presque toujours fermé, c’est un personnage des plus austères qui a été choisi pour pratiquer le classique pas de valse avec la pancarte.

N’allez pas croire que son boulot l’ennuie. Son air sérieux, il le conserve à la débauche, dans ce métro qui nous évacue de la zone érogène que sont devenues les arènes de la calle Xàtiva. Comme j’ai oublié de photographier le panneau de ce dernier toro de la féria de Fallas, je l’interpelle gentiment et lui demande s’il se souvient du nom de ce sixième exemplaire du fer de Domingo Hernández. Le type lève un peu les yeux, semble penser un bref instant puis me répète deux fois sèchement, pour que je comprenne bien que : non, il ne s’en souvient pas. Et puis, pour couper court à toute conversation, il fait ce geste si typique des gens du métro qui baissent la tête pour contempler leurs chaussures. Il les regardera jusqu’à la station Nou d’Octubre. Quant à moi, il me reste encore quelques stations pour réfléchir à ce toro anonyme qu’un public déboussolé et un président complètement dépassé venaient de gracier dans les arènes de Valencia. De station de métro en station de métro je m´engluais un peu plus dans ce mélange d’incompréhension et cette sensation que tout part en sucette. Je cherchais vainement des excuses à mes compatriotes enivrés d’indulto improbable, avec le sentiment qu’en les excusant un peu, je me sauvais moi-même de cette Cremà*. Et puis je renonçai car il est vain de se torturer l’esprit. On a l’afición et les arènes que l’on mérite.

Ces mornes Fallas 2017 se terminent donc sur un indulto. Sur le fil, dans le sprint final, comme un but injuste dans les arrêts de jeu. Un triste indulto qui n’a aucune raison d’être, une bourde énorme, un délire collectif infondé et malsain finalement. Un arbre qui vient cacher la forêt du désastre ganadero  du cycle fallero 2017 : un défilé d’élevages commerciaux à la présentation hétérogène et douteuse mais surtout vides de bravoure et de caste. Rien ou presque pendant toute une semaine qui a commencé par la mansedumbre écœurante des Alcurrucén, la disparition de la caste des Fuente Ymbro, le manque de combativité des Victoriano del Río, la faiblesse et la fadeur des Núñez del Cuvillo, et la sempiternelle invalidité des Juan Pedro Domecq. Il est probable qu’après une semaine à avaler de la daube, le public ait perdu la tête à la vue d’un bon toro de Garcigrande – Domingo Hernández. Parce que ce sixième toro fut juste un bon toro, ni plus ni moins, mais qui sortait du lot en comparaison de ses congénères de la semaine fallera. Un toro prompt, qui galope et transmet dans des charges nobles et répétées, mais qui est dénué de cette ‘humiliation’, de cette profondeur et cette classe si chères à la tauromachie moderne. Absurdité d’un indulto où il est inutile de s’attarder sur les piques, car elles ne sont même pas décisives dans le débat. Juste un bon toro, serviteur de ce toreo à media altura d’un Lopez Simon économiseur qui, raide comme un piquet oublie de baisser la main, peser sur la charge et presser ce toro pour voir ce qu’il avait vraiment dans un ventre qui engloutit une quantité incalculable de muletazos, entre deux clins d’œil aux planches.

Le jour après cette cuite mémorable, la gueule de bois est brutale et je ne peux faire autrement que de porter cette tronche sérieuse et triste du tourneur de pancarte.

* La Cremà est le dernier acte des Fallas de Valencia pendant lequel sont brûlés les monuments artistiques installés durant les fêtes de la ville. Une seule des figurines qui composent les quelques 750 monuments (fallas) érigés dans la ville est élue par les habitants pour être sauvée des flammes.

  1. martignon Répondre
    Quand je lis le commentaire sur les ALCURRUCEN (même si demain sera bien sur un autre jour) je crains le pire pour le lundi de pentecôte à VIC !. Mais quelle mouche a donc piqué les Vicois ?!. Quant aux autres élevages "commerciaux" rien d'étonnant !.
  2. martignon Répondre
    Jusqu'à preuve du contraire et à ma connaissance, la ganadéria d' ALCURRUCEN ne fait pas partie des plus "torista", d'où ma surprise pour VIC où on est habitué à plus de génio !.
  3. Ben Répondre
    Oui, mais fallait faire venir Curro Diaz et Juan Bautista...
    • Divino Répondre
      Comment ça ?
  4. Divino Répondre
    Pourquoi êtes vous allé aux Fallas ? Qu'espériez vous ?
  5. Anne-Marie Répondre
    La Revue n° 2042 page 6 : très chouette article sur Les Fallas.

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