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Madrid et les boutiquiers

Les nuits madrilènes restent propices à l’animation, au débat et aux alcools en tout genre, puis aux chansons, sorties et retours tardifs. Las, le principal talent du producteur artistique des arènes du coin réside probablement dans sa faculté actuelle à concocter des cartels où l’on ne se sent guère invités. Nîmes, Saragosse… Madrid. Peu ou prou les mêmes élevages que l’an dernier : PdSL et Adolfo, deux figures (Castella et Perera) au cartel et un peloton de prétendants. Côté absents, outre l’originalité et les figures promises, pas mal de copains dont on comprend l’absence de motivation.

Pour les vedettes du moment, avouons tout de même que l’on s’en tout un peu. La blessure de Ferrera, remplacé dimanche par Jean-Baptiste et vendredi par Ureña avait fait de ce dernier le pivot de la petite feria. Une confirmation d’alternative, Lopez Simon qui passait par là, rien de bien nouveau sous le soleil.

Madrid, terre hautement combustible et inflammable s’apprête à tirer le rideau sur ses mois d’enfer pour passer à ses mois d’hiver, oublier un peu les toros et rénover les arènes non sans quelque inquiétude quant au projet dont on ne connaît pas encore tous les détails. Dans la douceur ambiante, passèrent bien des raisons de bouillir pour les uns et s’enflammer pour les autres, en écho, pour ne pas dire en réaction, à la question catalane, les arènes rougeoyaient de drapeaux espagnols et de cris de « Viva España ! » plus ou moins repris en chœur par des secteurs de tendidos : « Viva ! »
À la palette graphique, Jerome Pradet nous gratifia samedi d’un Belmonte de Puerta Grande en couverture du programme. Un bouquiniste me fit un prix sur un bouquin de Jorge Laveron que celui-ci me dédicaça au comptoir de la Venencia. On passa de pires fins de semaine.

Dans la tourmente politique et son cortège d’éditos, d’articles et de polémiques, El Pais pointait lundi matin la part de responsabilité du gouvernement Rajoy dans la crise catalane : le manque de clairvoyance politique et l’absence de projets et d’idées pour un pays en proie à une crise économique pour une part et d’identité pour une autre. Les atermoiements, les états d’âme, les petites lâchetés et les grands manques de courage finirent par constituer un piège pour le gouvernement central acculé à intervenir tardivement recommandant à la police d’agir avec délicatesse (à en croire un article du Monde, rires dans l’assistance) et tombant dans le guet-apens des images d’intervention un peu musclées (j’ai vu pire). Du billard à quatre bandes, des raisonnements emberlificotés et voilà qu’aux yeux de la communauté internationale ce sont de braves démocrates oppressés par des crypto-fascistes tortionnaires. Sans parler de la sortie de Perera par la Grande Porte… À force d’imposer le medio-toro comme unique salut de la tauromachie, grande cause artistique et culturelle en quête de respectabilité, le petit monde a fini par se prendre les pieds dans un embrouillamini de concepts dénaturés, déclassés, pervertis. Oui, on n’est pas à un amalgame près, ici.

La corrida est un grand rite muet, aujourd’hui sonorisé à tort et à travers (surtout en France) pour annoncer des prix dont tout le monde se fout, du retard car il y a du monde à la taquilla, sans parler de l’abjection d’un torero face à un micro pour un brindis ou la défense face caméra de la copie qu’il vient de rendre sitôt son forfait accompli. Ca jacasse, à tort et à travers (palme pour l’allocution en préambule à la novillada de Dolores Aguirre de Boujan sur Libron pour l’année en cours). Le torero, inaccessible héros muet d’une autre planète se répand désormais sur les réseaux sociaux où il se fait fort d’exposer son plaisir de toréer et sa générosité pour toutes les causes qui passent afin qu’à l’heure d’évoquer son statut de « torerazo« , on n’omette pas de préciser le pénible « y mejor persona aún« . Le torero a donc pris la parole, suivi par sa cour et s’empresse de donner le la : les toros sont braves sans se donner la peine de cogner un cheval, le concept de classe est devenu omniprésent et bien d’autres exemples encore : le grand toro est désormais un putain de collabo ! Madrid n’a pas échappé à la confusion ambiante, aux critères sens dessus dessous… l’on se pâme devant les toreros capables de triompher avec des ectoplasmes plus qu’on ne se passionne pour le combat d’un authentique toro. À vrai dire, il semble clair que tout le monde a renoncé à la bravoure. Tauromachie de maximisation de petits investissement, l’ère est aux boutiquiers.

Perera est donc sorti samedi par la Grande Porte après avoir donné un récital de sa tauromachie puissante, précise, technique et exprimant sur des toros improbables des rendements de statistiques agricoles soviétiques, à la notable différence que dans ce cas, on l’a vérifié de nos yeux. Samedi, le citoyen de Badajoz entama donc la corrida avec Caracorta qui en bon Atanasio ne voulut rien savoir de prime abord. Vaguement piqué, le toro « s’ouvrit » comme une bonne bouteille au quites successifs de Del Álamo et Perera puis finit son apprentissage des bonnes manières à la brega magistrale de Javier Ambel. « Assis » sur ses reins, Perera lui administra une faena puissante et technique des deux côtés, relativement exempte des numéros de cirque habituels, où la magie de la figura du troisième millénaire s’exprime en particulier dans la faculté à baisser la main et relever la tête d’un léger coup de poignet en fin de passe. Remates de bon goût, le photocopieur vu à Bilbao s’était mué en presse-citron sans pitié. Oui mais voilà, sans art et sans adversaire, le torero dominateur triomphe sans gloire et le héros passe pour un tyran. Épée perpendiculaire et atravesada, mort lente, la pétition légèrement minoritaire finit par obtenir gain de cause. 1 oreille.

Au 4, pas piqué, Perera servit une faena en citant de loin un toro qui venait sans alegria. Sa décision à l’heure d’ouvrir par un cambio est telle que l’on imaginerait volontiers sa muleta changer le voyage du río Manzanares. Seulement, un cambio reste un cambio et le passer en soulevant les talons, rentrant les fesses et cambrant le dos une abomination esthétique. Pinchazo ce me semble, estocade et une nouvelle oreille, protestée par quelques secteurs du public. 1+1 = 2. Grande Porte (cadeau) recherchée et arrachée. À la sortie, en guise de justifications, il fut question de faena non primée à cause de l’épée mais rattrapée ensuite. Comme si, muée en vulgaire match de barrage, la Puerta Grande constituait un résultat primant sur le reste. Passons sur le fait que des oreilles mineures avaient été coupées à la San Isidro. Drôles de critères.

La « bonne » corrida de Puerto de San Lorenzo dont se réjouissent de nombreux acolytes vit défiler un lot de toutes tailles manso de peu de caste, deux toros pas piqués, un invalide maintenu en piste qui finit méchant (le 2), un invalide changé pour un bison de Santiago Domecq, le 3, et un éléphant sans clarté face auquel Juan Del Álamo ne trouva pas la solution. Lopez Simon déchargerait des tonnes de suerte du camion et s’amputerait volontiers de sa jambe contraire pour faire tourner se adversaires autour de lui. Il fit vaguement illusion au 6.

Paco Ureña jouit désormais d’un cartel avantageux à Madrid. Vendredi, Il coupa une oreille à un toro faiblissime Nuñez Del Cuvillo (le 3) à l’émotion (un comble) et donna la série de naturelles des trois corridas au 5. Il se justifia longuement face à deux des quatre premiers pénibles Adolfo (éleveur de carottes) du dimanche puis étouffa d’entrée de faena le sixième que l’on aurait volontiers vu une troisième fois au cheval et qui entama un second tiers laborieux plein d’alegria. Probablement un toro qui avait sa Lidia. Ureña a un concept intéressant, une quête de pureté dans la naturelle qui fait plaisir à voir et une sensibilité à fleur de peau qui semble le déborder perpétuellement. Nous le vîmes souvent affecté dans ses postures, déplorâmes beaucoup ses cites au niveau de la hanche et parlâmes beaucoup de cet écueil très contemporain du toreo qui répond au manque de transmission d’un toro faible par la mise en danger du torero pour susciter l’émotion. Que ce soit pour Roca Rey ou Ureña, il s’agit du même genre de perversion de l’art de toréer qui consiste rappelons-le à réduire un toro sauvage et non pas à se mettre à la merci d’un toro exsangue : tremendisme contemporain. Il manque probablement encore à l’intéressant torero de Lorca un peu de maîtrise et de maturité pour mieux structurer ses faenas et devenir peut-être une figure.

Entrant aux arènes plein de reconnaissance envers Simon C. de ne pas avoir substitué Ferrera par d’attendus Aguilar ou Rafaelillo, j’en sortis conforté dans ce que je pensais déjà de Juan Bautista à savoir qu’il est un torero extrêmement prudent. À l’aise à droite avec son premier Adolfo, deux passes à gauche le firent renoncer au côté fondamental. Qu’à cela ne tienne, l’Arlésien envoya balader l’épée et donna des naturelles de la main droite sans que le public ne trouve rien à redire. Moins en verve que d’habitude à la mort qu’il tenta de donner au centre il apprécia le silence. Rien à tirer du 3, arriva le 5 qu’il brinda au centre. Plein de transmission dans la charge, piquant, un peu collant, ce petit cinqueño assez vilain mettait la tête avec une fiereza qui fit renoncer Jean Baptiste. Si cela n’était pas clair, après 16 toros sans relief, il y avait enfin de la sauvagerie et de l’intérêt en piste, bref, un vrai Toro qui demandait les papiers et n’obtint qu’une médiocre démission. J’eusse aimé voir Perera s’y coller comme il le fit face aux mêmes Adolfos il y a quelques années, c’eût pu être un grand moment. « Il fallait parier et comme en général lorsqu’il faut parier, Juan Bautista préféra dejarlo para otro dia » la formule est de Domingo Delgado de la Camara s’il faut rendre à Cesar. Las Ventas ne s’y est pas trompée : sifflets au Français.

La déliquescence du premier tiers dans ces arènes est telle que le public fit une ovation aux deux acteurs d’un tiers de piques où le picador piqua deux fois légèrement un toro partant de loin mais sortant seul immédiatement.

Il est des choses qui énervent, il en est qui dépriment. Temporada finie, Puerta, Camino, Mondeno

  1. Jean-Michel lafontan Répondre
    "...le grand toro est désormais un putain de collabo !" Tout est dit dans cet article qui traduit de manière parfaite ce qui m'a , hélas, fait quitter le monde des toros ...
  2. Anne-Marie Répondre
    Ben Jean-Michel, revenez ! C'est quoi ça ? Faut pas bouder ! Je n'ai que 5 maigres années de maigre culture taurine, mais c'est trop bien ! Moi j'adore les toros ! Et grâce à qui ? À CyR et à LL entre autres. Il faut encourager cette passion : les sites comme CyR, les livres. Et les arènes. Même Nîmes. Ouais j'adore ma ville. Nos arènes ne doivent pas devenir qu'une salle de concert.
  3. Jean-Michel lafontan Répondre
    Anne-Marie, je n'en ai que quarante ce qui m'a amené souvent à ne pas avoir de certitudes sur mes connaissances . Mais trop c'est trop en matière d'affadissement , de transformation d'un combat en un ersatz , voire un simulacre. C'est mon sentiment et chacun est libre de le partager ou pas. Mais ce constat fait, je lis toujours avec délectation CyR .

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