logo

Obri(gado) bravo XL


Épisode XL : Fin du voyage


Ces années passées à butiner de finca en herdade nous ont donné l’occasion de tester un nombre conséquent de moyens de transport que le quotidien ne nous autorise généralement pas. C’est ainsi que du classique 4×4 à l’incombustible remorque de tracteur, peu nous aura été épargné, pour notre plus grande joie, il faut le reconnaître. Se laisser porter sur le plateau arrière de ces pick-up très utilisés au Portugal, le soleil pour guide et le vent pour unique dialogue demeure une expérience de bonheur total des grands espaces. Déraper sur les flaques noires d’un Campo Charro noyé de pluie dans une AX rouge aux pneus lisses fut aussi jouissif que de se foutre les chocottes dans une benne ouverte aux herbes et aux cornes chez Veiga Teixeira. Je repense au Kangoo lacéré d’Adelaida Rodríguez manoeuvrant adroitement au milieu de monstres sombres agacés par l’orage ; je revois la Mercedes Classe A des Sánchez de Terrones tenter d’éviter branches mortes et trous vicieux, ‘Chichi’ enjoignant son peintre de mari de faire attention et de garder la distance. Mais de tous ces souvenirs, je ne doute pas que celui que nous offrit le sieur Dias restera longtemps gravé dans ma mémoire. De l’horizon, sur cette route de pampa, point de cavalier comme dans le roman de Sepúlveda, point de forme flou au lointain comme dans la photographie de Koudelka. En lieu et place de cet imaginaire forcément très personnel, il nous fut proposé l’écrasante présence d’une masse cliquetante et fumeuse, vrombissante, ronflante et polluante : une bétaillère ! Et ceux qui montèrent à l’arrière, dont votre serviteur, n’oublieront pas de sitôt l’expérience inédite de jongler entre les restes de caca au sol et les agressions incessantes des pollens bombardés par les branches de chênes-lièges giflées par le haut de cette forteresse roulante et cacophonique. C’est donc les pieds dans le caca, repeints de jaune, toussotant mais hilares que s’achevait notre rencontre avec ces toros bizarres, échappés de l’enfermement du passé et des vérités généalogiques. 

Il y aura d’autres voyages, d’autres toros, d’autres mots incompris, d’autres milliers de kilomètres, d’autres pipis au bord des routes, d’autres rires, d’autres discussions sans fin, d’autres fleurs, d’autres chemins de terre et peut-être, au loin, s’esquissera la forme noire d’un cavalier perdu en lui-même. Il y aura tous ces autres et bien d’autres mais plus tard et ailleurs car il est temps d’achever et d’écrire, en ce qui me concerne, les derniers mots ici. Finir sur l’évocation de ces imperfections mystérieuses de casta portuguesa des Irmãos Dias ne pouvait pas mieux tomber. Quinze ans de campo (un peu plus en vérité) et de Campos comme on a coutume de nommer entre nous Campos y Ruedos ont nourri mon afición et certainement aussi mes obsessions.Et c’était chouette mais les frontières sont fermées, nos souvenirs s’endorment et le silence est là.

Fin

  1. Anne Marie Répondre
    Ouh là, c'est pas bon ! Ça sent la fin, et les pieds dans le caca c'est nous qui allons les avoir ! Dommage Laurent, mais je comprends. J'aurais eu le privilège de me gaver de vos textes, de vos photographies, de vos livres. Mais des Toros, il y en aura encore. J'ai espoir. Heureusement sinon je n'ai plus qu'à sauter dans le Ruedo ! Comment vous dire merci ? La bise. Et à bientôt.
  2. Anne Marie Répondre
    Au fait, j'ai oublié : ça m'a fait pleurer.

Répondre à Anne Marie Annuler la réponse.

*

captcha *