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Panneau

rousselJe ne suis pas certain que le contenu de ce texte soit en accord avec vos convictions. Rassurez-vous, je suis malade, c’est à dire aficionado a los toros. C’est en fumant des clopes dans mon jardin que je me suis décidé à apporter un sens à ce panneau que j’y ai accroché. Les toros sont un accélérateur de pensée. C’est pour cela que je vous lis et écris. Car je pense que nous appartenons à la même communauté d’idées.
Gilles ROUSSEL.

Au début des années 2000, les arènes d’Arles, en septembre, organisaient deux corridas. La Goyesque et la concours. Il faut toujours essayer d’équilibrer la balance. Seulement voilà. Après quelques années, cette foutue balance, celle qui compte le nombre de spectateurs, a rapidement penché vers les costumes. Exit le trapío et la fureur. Exit la concours. Place nette à la représentation.

Au début des années 2000, ou peut-être plus tard, après avoir décoré leur piste le samedi, le dimanche, les areneros, comme jaloux du dessinateur intervenu la veille, s’amusaient à tracer des lignes en piste. Plein de lignes, séparées chacune de deux mètres et qui partaient de l’arrrastre pour finir au centre. Il s’agissait de mesurer la bravoure d’un toro à la distance qu’il était prêt à parcourir pour être châtier. Bref. Une définition de l’ineptie. Ou alors de ce que certains, certains de leur fait, veulent voir perdurer comme une tradition.

Une petite digression à ce sujet. Jean-Paul CURNIER, philosophe de l’arc et redoutable attendrisseur de poulpes (merci Jacques Durand pour l’info), qui nous a quittés samedi dernier, « là où se séparent les eaux du Rhône », nous rappelait : « On a pris l’habitude depuis quelques années de défendre la corrida du côté du rite. Et c’est une erreur, une double erreur. D’abord parce que la corrida n’est ni un rite ni une cérémonie sacrée et, ensuite, parce que le fait de la défendre en arguant d’une spécificité identitaire, minoritaire et menacée, c’est la priver de sa réelle puissance de signification. C’est de l’universel qui se joue dans la culture taurine et non du local identitaire en état de relique. La corrida est ancrée dans un intemporel de l’homme. Elle ne saurait survivre longtemps si elle doit être regardée comme un objet de brocante. La gloire et la beauté la déserteraient. On ne peut pas tout ensemble vanter ce qui s’y dépose et exiger qu’elle soit l’objet de mesures de protection comme une coutume désuète pour musée des civilisations. À l’heure où tuer est devenu le fait de techniques ignobles et anonymes, la force de la corrida est de s’obliger à regarder la mort en face et à en assumer pleinement la responsabilité. Et d’accepter qu’il en surgisse de la beauté. » (In «La mort n’est pas cruelle», Art Press 2 L’art de la tauromachie.)

Bref. Toujours au début des années 2000, Arles propose une corrida concours. Six élevages, et autant de toros. Un sorte de confrontation entre locaux et espagnols. Au cartel, un chef de lidia : Pepin Liria et deux autres. Côté toros, Soulé de Yonnet. Un grand, un énorme toro, dont le bout des cornes dépassait, dans mon souvenir (pas toujours très fiable, le salaud) la hauteur des arceaux qui tenaient alors les burladeros. Brave Pepin. Que d’empathie j’ai eu pour lui ce jour-là. Car si j’ai eu la malchance de le voir quelques années plus tard, comprendre a posteriori la grandeur d’un toro (Istres – Cebada Gago), ce jour-là, je n’ai pu que compatir. Ce qui ne fut pas le cas de la majorité, toujours bruyante, du public. Débordé, et à juste titre par cette bestiole magnifique et infumable, il essaya, à la mesure de ses moyens, non pas d’en finir rapidement, mais de s’en sortir, tout simplement. Rien à droite ni à gauche. Mais des coups de tête partout. Comme si la République En Marche se mettait en colère. C’est quand au fait? Des bouteilles vides et pleines. Des caillasses datant de la construction des arènes. Tout ce qui pouvait y passer  y est passé. Il a presque tout pris sur le coin de son oeil qui lui, avait vu le danger et l’impossible. Il s’en est sorti comme il a pu. Vivant. Mais démonté. La dépouille de Soulé est sortie sous une grande ovation qui n’attendait qu’une grande bronca pour prendre sa mesure. La balance. Toujours la balance.

Au sortir des arènes, cette bruyante mais supposée majorité du public, pestait contre ce torero, « en dessous » de ce toro venu de la Bélugue. Aveuglée, comme les supporters d’un match de football après une décision arbitrale, la foule pestait après ce torero qui selon elle n’avait pas fait fait son travail. Pourtant, Soulé était mort. Et bien mort. Découpé par des bouchers. Entrecôtes et faux-filets en route vers des assiettes accueillantes. Et pas forcément regardantes.

S’il subsiste dans ma mémoire des souvenirs taurins plus glorieux, celui-là tient une place de choix. C’est d’ailleurs celle qu’elle occupe dans mon jardin. Ce que j’ai volé à la vie de plus beau ne le perçoit pas toujours. Ce n’est pas grave. Car il me reste le restant de mes jours pour lui expliquer et me battre pour que ces panneaux gardent leur place et leur sens.

  1. Anne-Marie Répondre
    Et oui, des bêtes du cru. Euh, de la Crau. Bref, de chez nous. Et Art Press, une merveille, à conserver religieusement. Et le jour où la corrida part en brocante, j'organise une marche blanche !

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