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Albillo Real et vieux grenaches

garnacha

Jim Harrison, l’homme au régime à 10 000 calories, a expliqué sur France Culture, entre deux allumages de clopes, que tout est imbriqué, que croire le contraire serait une illusion et qu’il n’est pas possible de séparer la gastronomique de la vie.
Si la côte de veau est merveilleuse que restera-t-il a Van Gogh ? Ecrit-il dans ballade d’un vagabond gourmand.
La réflexion d’Harrison peut s’appliquer à la fiesta. Tout est imbriqué et la vie sauvera les toros, ceux de Cenicientos, où d’ailleurs.

La vie à Cenicientos a débuté pour moi il y a bien longtemps avec les novilladas de la vallée de la terreur. Arènes portatives qui reculent littéralement sous les coups de boutoirs de cornes qui ne s’émoussent pas. Des novillos démesurés, ceux de Jose Luis Sánchez y Sánchez, qui sont sur le point de faire basculer la cavalerie dans la contre-piste. Et on répète le lendemain, même élevage, même démesure. Abondance.

Gonzalo est devenu vieux, ses cheveux sont blancs et ses yeux amande me fixent de longues de secondes avant de réaliser.
«Qu’est-ce que tu fous ici ? Le gusanillo ? Ca te reprend ? Tout ce que nous avons connu n’existe plus. Rien.»
Les vieux de Cenicientos ne font pas semblant.

En 2107 ma nouvelle première vision sera celle d’un toro de chez Adelaida Rodriguez monopiqué d’un picotazo illusoire qui ne provoquera pas le moindre début de réaction sur les gradins. La suite sera d’une médiocrité triste et constante.

Les peñas «fuerte movida» et «ata la jaca a la reja» (attache la jument à la grille) sont amorphes. Elles dansent un peu entre deux toros mais ne s’invectivent plus, ya no quitán a nadie de la moto. Il n’y a plus le coupé 2 cv surchargé de bocatas et de sangria pour faire son tour avant le paseo et déverser son chargement sur les tendidos. Un spectacle.
A la fin de la course les gamins n’ont plus le droit d’aller en piste toucher le toro et se faire trainer avec lui. Ca fait plus propre c’est certain. Mais…

Si les vins de la Sierra de Gredos sont merveilleux que reste-t-il à Cenicientos ?
Harrison avait raison. Tout est imbriqué et les vins nous sauverons.

Pas loin il y a El Tiemblo. Depuis Cenicientos on y va par la M 542 puis par la M 541 après avoir traversé Cadalso de los Vidrios. On passe devant les toros de Guisando. Des toros qui seraient plutôt des cochons si j’en crois Martín. Ils sont au bord de la route. Avant on les voyait en passant. On s’y arrêtait, ou pas.
Aujourd’hui ils ont construit un mur, et collé un gardien qui vous demande 2 euros avant de pouvoir passer le tourniquet. Affligeant.

Le côté Underground de ce que fut Cenicientos c’est en fait à la cave coopérative agricole de El Tiemblo que nous l’avons, un peu, retrouvé.

Le lieu, abandonné depuis des lustres par les coopérateurs, a été investi il y a quelques années par des vignerons, de ceux qui travaillent propre, sans chimie.
Ils sont deux, Daniel Ramos, espagnol d’origine australienne, et Fabio Bartolomei, un savant mélange d’Italie et d’Ecosse. Avec ce dernier on évoque forcément Trainspotting, le film de Danny Boyle. Fabio connait parfaitement les lieux de tournage. C’est là, à  Edimbourg, que s’est déroulé une partie de son adolescence. Et s’il a filé à l’anglaise faire du vin dans ce coin perdu de la castille c’est un peu because sex and drogs and Rock and Roll ça ne pouvait durer qu’un temps.

Larrieu voulait que je cause de Cenicientos et de toros. Me voilà à causer de pinard. Pourtant la veille à Madrid, une novillada d’Ana Romero faible au cheval mais ensuite très encastée et se grandissant nous aura donné des satisfactions malgré les carences. De la caste, au moins ça.
Pour ce qui est de continuer à causer il vaut mieux embrayer sur mes deux « viñerons ». Dans ce milieu du vin nature espagnol on commence à parler de « viñerons ». Le grand frère français n’est jamais bien loin.

D’abord l’albillo real. Un cépage blanc d’ici que Fabio vinifie manuellement (faut voir l’égrappage !) et par macération pelliculaire plutôt courte. Le résultat est une sorte de vin orange. A ce stade on évoque Radikon et Dario Princic et puis Venise. Le monde est petit.
Fabio n’utilise aucune chimie, pas le moindre gramme de soufre, pas même à la mise. Et pour nous montrer à quel point cela est ici possible il nous fait gouter des fonds de bouteilles. Des fonds de bouteilles, ouvertes depuis 3 ans pour certaines… Il faut gouter pour croire…
Le déjeuner à la Bodeguita permettra de constater la grande netteté des vins et se régaler de leur originalité.

Trois jours plus tard, rendez-vous avec Daniel qui nous mènera tout en haut des montagnes en empruntant une partie du chemin de Saint-Jacques qui arrive du levante et qui passe ici après avoir abandonné Toledo.
Nous dominons la région, on parle de parcelles, d’orientation, d’altitude, et de grenache. De l’autre côté, là-bas c’est la vallée du río Tiétar. Ici c’est Gredos. On passe de Radikon à Rayas et on parle terroir. D’ailleurs à la cave coop du Tiemblo on ne pratique pas la macération carbonique. On cherche autre chose.
Daniel Ramos est lui aussi dans une démarche nature mais avec un ajout minime de soufre à la mise en bouteille, histoire de tranquilliser tout le monde.
On dégustera sur fûts de nombreuses cuvées en préparation dont un albillo Real hors normes. Et puis une émotion, au fond de la cave, deux demi-muids pour deux parcelles de très vieux grenaches orientées nord et à 700 ou 800 mètres d’altitude. Vinification en vendanges entières. On arrête de cracher et on demande à re-gouter. Les vins sont d’une élégance folle, profonds, émouvants. Oui, une émotion. C’est finalement pour ça que nous étions venus.

  1. clement Répondre
    ya pas quelques photos de cette époque avec la portative svp ?

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