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Castilla y León, Jiménez de Jamuz, El Capricho

Que ce soit le voyageur de Saint-Jacques ou l’aficionado à la recherche de la finca de Valdellán, à Santa María del Río, et en supposant que l’un comme l’autre se soient égarés, il n’y a quasiment aucune probabilité pour qu’ils se retrouvent dans ce coin perdu de Castille.

Jiménez de Jamuz se trouve à une cinquantaine de kilomètres de León et à une petite trentaine d’Astorga.
Entre León et Astorga il y a les marcheurs mais seule la sonorité des noms des villages traversés est évocatrice d’une Espagne fantasmée : La Virgen del camino, Villadangos del Páramo, Santibañez de Valdeiglesias ou Hospital del Órbigo. La réalité du chemin entre ces deux villes est faite d’asphalte, de croisements, de panneaux indicateurs, de camions et de bars de bord de route. Mais c’est l’Espagne malgré tout, déjà attachante.
León est sublime et Astorga mérite également le voyage, même si l’étrange cathédrale de Gaudi semble posée là un peu par hasard.
Dans tous les cas il est improbable que le hasard mène qui que ce soit jusqu’à Jiménez de Jamuz qui n’est sur la route de rien.
La découverte de ce village où les anciennes caves à vin font penser à des troglodytes c’est à un documentaire diffusé par Arte que je la dois. Le journaliste Franck Ribière accompagné du boucher Yves-Marie le Bourdonnec ont parcouru notre planète pendant deux années à la recherche de la meilleure viande. Le résultat est un film de deux heures, politiquement incorrect, mais passionnant pour ceux qui se foutent des modes et de l’air du temps : Steak (R)évolution.
Du Japon à New-York en passant par l’Angleterre et son Angus, l’argentine, le Brésil, la France et sa viande d’Aubrac chez les Bras père et fils, rien n’est laissé au hasard.
Les éleveurs y sont passionnés et parlent des bêtes qu’ils élèvent, de l’amour de leur travail, et de leur combat pour maintenir, là aussi, une diversité de races. L’un d’entre eux se risquera même à un parallèle, un peu hasardeux, entre la production de ces viandes et la vogue des vins natures.
Le documentaire est politiquement incorrect à plusieurs titres. Il fait d’abord la promotion de la consommation de viande. Il faut nuancer. Pas n’importe quelle viande, pas cette horreur des élevages industriels, pas cette merde vendue en grande surface. La mise en lumière concerne une viande haut de gamme, forcément chère mais issue d’une agriculture qui respecte la planète. Certains troupeaux anglais sont nourris uniquement à l’herbe !
Le Bourdonnec ne se prive pas ensuite de tacler sévèrement les éleveurs français qui font selon lui de la carcasse, du muscle, mais pas de gras. La blonde d’aquitaine bodybuildée est dans son collimateur. Car c’est bien de la viande grasse que le Bourdonnec se fait le chantre. Le gras c’est la vie, et la seule façon d’obtenir une viande qui a du goût.

Cette mise en cause de la filière française lui a d’ailleurs valu son exclusion de la fédération française de la Boucherie après qu’il a osé déclarer que les meilleurs éleveurs du monde sont les anglais. Son éviction semble plutôt l’amuser et même le remplir d’une certaine fierté. Il faut dire qu’il y a toujours comme un début de jouissance à être dénigré par les cons et la masse des suiveurs. Je ne sais pas qui de le Bourdonnec ou de la fédération a raison, mais son air goguenard lorsqu’il évoque cette « affaire » fait plaisir à voir.

Ce n’est qu’à la fin du reportage que seront présentés José Gordon, son élevage, et son restaurant. Et là c’est le choc.
José élève ses boeufs entre huit et douze ans, parfois quinze. Après abattage, la viande est longuement maturée, jusqu’à plus de cent cinquante jours. Jody Storch propriétaire du Peter Luger Steakhouse à New-York n’en croit pas ses oreilles : Quoi ? Quinze !? Quinze quoi ? Années !
Il faut préciser que nourrir un boeuf pendant cette durée revient à vingt ou trente mille euros auxquels il faut ajouter le prix d’achat de la bête et tout le reste. On comprendra aisément que la côte de boeuf dans votre assiette à la bodega «El Capricho» aura logiquement un coût qu’il vaut mieux appréhender et comprendre avant de prendre la route et passer à table.
Au terme du reportage le steak proposé par la bodega « El Capricho » est déclaré sans la moindre hésitation meilleure viande du monde, devant les anglais et le Wagyu japonnais : «La Rubia Gallega de José Gordon est la meilleure viande du monde».

Nous sommes très méfiants à Campos quant à ce genre de classements de meilleur ceci ou de meilleur cela, souvent biaisés par des intérêts économiques qui se cachent à peine. Il suffit de voir la grosse blague que sont les cinquante soit-disant meilleurs restaurants du monde. Mais ne reculant devant aucun sacrifice nous prenons tout de même contact avec la bodega « El Capricho » pour un dîner et, of course, une visite du campo.

José nous demande comment nous avons découvert le Capricho. Je lui parle du reportage. Grand éclat de rire : « Ah oui, le reportage, Steak (R)évolution… Mais il y a un problème avec ce reportage. À la fin ils écrivent que la meilleure viande du monde c’est la blonde de Galice de chez El Capricho. Mais je n’ai jamais dis ça ! Ou ils m’ont mal compris. Ou c’est peut-être parce que je leur avais fait goûter une blonde de Galice. C’est bien la blonde de Galice, mais c’est loin d’être ma préférée et je ne dirais pas que c’est la meilleure.
Depuis le reportage et un article du New-York Times toute la planète veut de la blonde de Galice. Les éleveurs galiciens devraient me payer un pourcentage !
Je vais te dire, c’est une question de goût, chacun ses goûts, mais moi j’ai d’autres races que je préfère, notamment des Barrosa du Portugal. Enfin bon ce n’est pas très grave.»

Je me risque à évoquer la viande du toro de combat. Un chevillard français m’avait indiqué il y a quelques années que cette viande est moins stressée que celle d’un boeuf tué à l’abattoir. Soupe à la grimace. Le bravo n’est visiblement pas dans le domaine d’action de José Gordon. Je n’insiste pas.
Pas plus que je n’insiste lorsque je demande à voir les vaches de ventre. Il n’y en a pas. Les bêtes sont achetées dans toutes la péninsule et au-delà en fonction de caractéristiques précises pour être ensuite élevées de nombreuses années. Mais il n’y a pas d’élevage à proprement parler.

Direction le restaurant. Le Capricho est un lieu incroyable. A l’entrée, dans le bar, sont encadrées les coupures de presse dont celle du New-York Times. Classique. Nous nous enfonçons ensuite dans un dédale de couloirs creusés dans la roche. La salle de restaurant faite d’alcôves plus ou moins grandes, puis enfin la cave à vin. Impressionnante. Nous restons un long moment à contempler les étiquettes. Selosse, Batard Montrachet, Côte Rôtie, Vega Sicilia, etc…
Nous sommes dans une ancienne cave et le lieu invite à la méditation.

C’est ensuite la présentation d’une impressionnante côte, celle d’un boeuf portugais âgé de 8 ans et maturée entre 140 ou 150 jours.
Je ne sais pas si j’ai dégusté la meilleure viande du monde mais le goût est réellement incroyable, hors normes, différent de tout ce que j’ai pu goûter jusqu’à ce jour, puissant, complexe, long, très long. Une émotion. Les palais trop formatés n’apprécieront sans doute pas.
Marcos jeune sommelier galicien pour qui c’est ici le premier jour est un amoureux des vins français, notamment du Rhône Nord et les Crozes d’Alain Graillot sont en bonne place sur une carte superlative mais très classique, peut-être un peu trop, mais qui a de quoi faire pâlir bien des étoilés français.
Dans l’esprit Rhône Nord c’est un rouge de la Ribeira Sacra qui est proposé. Un petite bombe fruitée un peu court en bouche mais qui s’en sort étonnamment bien face à la puissance du boeuf portugais.
Marcos nous promet une évolution des choses et nous fait part de son espoir de proposer rapidement les Rioja d’Olivier Rivière qui devraient faire merveille sur ces produits exceptionnels. Ce ne sont pas les idées qui lui manquent. Il faudra revenir à la bodega « El Capricho ».

Lient utiles :
Le documentaire Steak (R)évolution
Rouge de Galice par Vincent Pousson

  1. Dervieux Répondre
    Surprenant ! Vraiment surprenant ! Je vais regarder ce film Steack (R)évolution, merci pour le lien. Et celui de rouge de Galice est assez amusant. Ceci dit, il faut avoir un palet apte à déguster ce type de viande comme tu le dis. Pas gagné pour tout le monde ! Et merci pour ce reportage AD PS : Comment as-tu trouvé ce chemin primitif ?
  2. François Bruschet Répondre
    Je suis certain que ton palais appréciera Alain ! Pour le primitivo on en parle autour d'une bière... ou d'autre chose. Abrazo.
  3. Anne Marie Pioger Répondre
    Un beau, et bon, très bon, filet de chez Riboulet, avec, un bon, très bon, Octobre Rouge, du Château Valcombe. C'est pas mal non plus. Sus aux vegans, et vive la France.

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