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Puyero

Assis sous les arches des arènes de Valencia, Ángel attend patiemment la visite des picadores. Sachant que tout est parfaitement prêt et organisé pour le montage matinal des piques, les varilargueros n’apparaitront qu’à la dernière minute, comme à l’accoutumée. Ángel, méthodique un poil maniaque, a installé dès son arrivée la caisse des piques sur son grand coffre en bois. D’un côté de la caisse, une pile de rectangles de papier journaux soigneusement découpés et alignés, de l’autre la liste des picadores de la corrida de l’après midi avec ses annotations manuscrites. Dans le grand placard métallique, Ángel a regroupé les paires de hampes qu’il a attribuées à chaque piquero, les mêmes qu’ils avaient utilisées lors de leurs visites précédentes. Corrida après corrida, il consigne toutes ces informations dans son registre qu’il consulte lors de chaque feria de Fallas ou de juillet.

En plus des dix-huit varas règlementaires qu’il doit soumettre aux picadores et à l’autorité, Ángel a aligné sur la cloison du local un échantillon supplémentaire de hampes, orgueilleux de son ample collection. Soixante-cinq hampes au total, en hêtre ou en frêne, plus courtes ou plus longues, plus ou moins lisses ou striées, certaines presque droites et d’autres avec la courbure plus prononcée. Mais aussi des hampes historiques de plus de soixante-dix ans au bois foncé et poli qui côtoient des varas plus récentes au ton plus clair. Il y en a pour tous les goûts et tous les caprices de picadores.

Ces varas rigoureusement marquées et répertoriées, Ángel les accumule depuis plus de vingt ans lorsqu’il devint presque par hasard le puyero des arènes de la rue Xativa. Il était alors fidèle abonné des ferias valenciennes juste derrière le burladero des préposés au piques et c’est depuis sa place qu’il taillait la bavette et partageait le tabac avec le puyero de dynastie des arènes. Ce dernier, à l’âge avancé et sans succession possible, invita Ángel à le seconder dans ses tâches. Cinq ans plus tard il lui céda son poste de puyero et vingt-cinq varas au prix de deux mille cinq cents pesetas chacune.

Après la dernière corrida du mois d’octobre Ángel transporte ses hampes à sa maison secondaire sur les hauteurs de Montserrat près de Valencia pour les baigner dans la piscine afin d’humidifier le bois. Il les laisse tremper jusqu’à ce que le regatón touche le fond. Puis il les retire pour les laisser sécher à l’abri, à plat ou bien debout appuyées contre un mur pour accentuer la muerte, la courbure que l’on donne à l’extrémité de la vara qui porte la pique. Il les traite contre les vrillettes, les polit au besoin. Bref, il les bichonne.

Au mois de mars, juste avant les Fallas, il descend aux arènes la grande majorité des hampes en prenant soin de transporter les piques que les picadores présents aux cartels ont l’habitude d’utiliser. Celles qu’il retire de la circulation ou qu’il offre aux varilargueros retraités, il les remplace par de nouvelles qu’il acquiert lors de ses déplacements à Morón de la Frontera ou Beas de Segura, souvent chez d’anciens picadores reconvertis dans la fabrication manuelle des varas.

Ce 16 mars au matin, Ángel accueille Manuel Quinta, fils du picador retraité du même nom aux ordres d’Enrique Ponce et lui montre les hampes qu’il lui a réservées : celles que son père utilisa lors de ces dernières années dans les arènes de Valencia. Après un rapide essai, le choix du puyero est entériné. Ángel doute que ces petites attentions existent dans les autres arènes. La preuve est qu’on est venu le chercher pour exercer à Albacete, Zaragoza, mais aussi à Nîmes et même à la Monumentale de Mexico. Car dans un demi sourire que cache sa moustache, il affirme être le dernier puyero d’Espagne.

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