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Boujan un samedi

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Diogène du fond de son tonneau dispense ses prophéties. A Madrid dans la pénombre fraîche de la Venencia Jorge Laverón partage avec ses amis sa conception totalement sui generis de la fête des toros.
Ce jour d’août, il y a longtemps, il faisait chaud, mais pas plus qu’aujourd’hui et nous nous apprêtions à prendre la route de Cenicientos pour une corrida de José Escolar.
Ce matin-là, Jorge déclara qu’une corrida de cet encaste l’intéressait au plus haut point, l’intéressait toujours, même lorsque les bêtes sortaient mauvaises.
Ceci n’a rien à voir avec une quelconque mauvaise foi, c’est autre chose, une subtile appropriation des choses en fonction de critères qui bien souvent échappent au plus grand nombre. Des choses personnelles qui ne se partagent qu’en certaines circonstances et avec certains amis.

Samedi à Boujan la course d’António Silva n’est pas sortie bonne. Et je doute que Jorge l’eut appréciée malgré tout. Sans doute lui aurait-il reproché un manque de caste, et j’aurais été bien en peine de le contredire.
Mais comme j’ai des goûts souvent plus rustiques que ceux de Jorge en matière de bétail je peux dire que cette mauvaise course ne m’a pas ennuyé. Encore qu’en matière de sauvagerie ou de méchanceté il n’y avait pas péril en la demeure.

Les novillos, nous a-t-on dit, n’ont pas bu durant trois jours. Ils tiraient une sale tronche dans les arrières cours des arènes de Béziers, certains la bave au mufle cherchaient de l’air. On pouvait craindre qu’ils aient fait la course avant, dans les corrals ou dans le camion, qu’ils ne s’en soient pas remis et que par conséquent ils sortent faibles. Trois jours sans boire dans un contexte caniculaire exceptionnel n’est guère imaginable et ne peut que faire envisager le pire. Ce ne fut pas le cas. Nous eûmes même droit à quelques tiers de piques non dénués d’intérêt dont un qui secoua sérieusement Gabin Rehabi.

Les choses furent plus compliquées ensuite lorsque beaucoup prenaient illico la direction de la querencia du toril mais le 3 offrait des possibilités.
Ce n’était pas bon, mais c’était loin d’être une catastrophe.
Pozo ne révolutionnera rien dans le monde des toros, mais comme à Madrid en septembre dernier face aux Saltillo il fit face avec son improbable allure de torero d’un siècle passé et son étonnante sérénité.
Francisco Montero, un maletilla, un type au parcours à l’ancienne, montra son envie et ses limites surtout à l’épée mais peu importe les limites. De Christian Perez je ne conserve aucun souvenir.
Boujan-sur-Libron samedi avait des airs de vallée du Tiétar, avec toutes ses approximations. Ce n’était pas pour nous déplaire. Ça en était même revigorant car cette fête-là est en train de disparaître.
Pierre Dupuy lors de la monstrueuse novillada de Dolores Aguirre combattue à Céret pour la Saint Ferréol de 1995 (bien plus monstrueuse et bien plus excessive que ces António Silva portugais qui n’ont mangé personne) s’était réjoui dans la revue Toros de ce « bol d’air frais venu du Canigou ».
Samedi à Boujan un trop grand manque de race ne nous apporta pas la fraîcheur de ces Aguirre devenus légendaires et seule l’heure tardive qui donnait à la placita de faux airs de Chinchón nous a sauvés d’une brûlure définitive.

Les jours d’avant ce samedi le nom de Boujan sentait, un peu, le soufre. Des profondeurs des réseaux sociaux sont montées des dénonciations en intégrisme, voire en assassinat (sic) des imprécations à ne pas y aller, un étrange et incompréhensible besoin de nuire. Jusque dans la vraie vie, où la fille de l’organisateur fut violemment prise à partie par les néocons de la nouvelle afición en des termes que la décence nous interdit de reproduire ici.
Polémiques vaines quoique révélatrices et auxquelles on pourrait répondre en paraphrasant Nicolas Bouvier qui lui ne parlait pas de toros mais de voyages : « On ne va pas aux arènes pour se garnir d’exotisme et d’anecdotes comme un sapin de Noël, mais pour que la fiesta vous plume, vous rince, vous essore, vous rende comme ces serviettes élimées par les lessives qu’on vous tend avec un éclat de savon dans les bordels. »

  1. bernard jalabert Répondre
    Entièrement d'accord avec cette approche du problème boujannais et plus particulièrement avec le dernier paragraphe. Toutefois je reste plus critique sur la prestation des piqueros qui ont centré la puya sur le lomo de préférence au morillo, malgré une prime alléchante.. Le fait que les novillos n'aient pas bu n'excuse pas l'éclatement quasi systématique des cornes. Peut être que Los Manos n'avaient pas été suffisamment abreuvés? Les novillos de Barcial et de Jara del Retamar auront-ils la bénédiction des intégristes, néocons de la nouvelle afición? A suivre.....

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