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Véro m’a tuer

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Il y a quelques années de cela, mais pas très longtemps non plus, Laurent Larrieu, sans doute pris d’un excès ou d’un accès de lucidité, s’était mis en tête de sauver la crevette espagnole. La gambas quoi — oui, je mets un « s » à la fin de « la » gambas. J’ai envie. Nous avions même publié son manifeste dans notre premier livre, que vous ne pouvez plus acheter, mais vous pouvez toujours acheter le troisième… Eh ! oh ! ça va, eh !

Laurent, je peux l’écrire aujourd’hui, tu fus un précurseur, un visionnaire. Tu auras été le premier apôtre, tu as été… ou plutôt non, car tu n’es pas allé assez loin. Tu aurais pu devenir le premier rabbin ultra-orthodoxe — oui, oui ça existe ! — de la cause de la crevette espagnole. Il y a des hommes qui font les événements et des événements qui font les hommes, et tu aurais pu être de ceux-là. Mais tu as failli. Il faut bien te l’avouer, aujourd’hui, et regarder en face ce qui aurait pu être, mais qui ne fut pas. Trois longues années se sont écoulées et… rien. Le massacre de la crevette a continué, sans que plus personne ne s’émeuve de ce véritable génocide.

Et puis, un soir de décembre de l’an deux mille treize, il y a Véro ; Véro, un peu perdue dans les rayons d’un supermaché Carrefour, à la recherche de carottes que l’on imagine bio, mais qu’elle ne trouva pas. Soudain, Véro entend une voix, caverneuse, lointaine, une voix sortie tout droit d’un haut-parleur : « Homards vivants au rayon poissonnerie ! » Pince-moi, je rêve, se dit Véro, qui ne manque pas, par la suite, de raconter son acte de bravoure… exclusif : « Chez Carrefour j’entends “Homard vivant”, j’ai couru en acheter un pour le sauver, j’ai fait un grand speech aux poissonniers et aux clients, ainsi qu’aux gens dans la queue avec moi et à la caissière. Ils m’ont prise pour une dingue, je m’en fous, j’espère qu’ils ont compris quelque chose… Le pauvre homard est mort chez moi… Je pensais pouvoir le maintenir en vie. Il n’a au moins pas été ébouillanté vivant… »

Véro, c’est pas Larrieu ! Elle, elle est allée au bout de ses convictions. C’est pas une carapace molle, la Véro ! Son homard eût été un crabe, elle était pas loin de nous recréer l’O. N. C. T. (Observatoire national crabes et tourteaux) fissa fissa une carotte dans le coin de la gueule comme d’autres y collent un cigarillo, la mine fière de ceux qui font des choses dans leur vie et ne se contentent pas seulement de faire bouillir la marmite — oups, désolé Véro.

Après son acte héroïque, Véro s’est répandu sur Facebook, parce que débagouler son histoire au téléphone eût été insultant pour la bestiole — en plus, Véro déteste Dalí — qui agonisait, sans sel, dans sa baignoire comme Robespierre avait crevé à petit feu, la mâchoire pendante, lors d’un autre thermidor. Mais ce ne fut pas facile de dégorger tout ça, et puis on s’est moqué d’elle aussi. Nous avons reçu ici même des lettres anonymes narquoises, ignobles et dignes des plus mauvais sketchs téléphoniques — décidément — d’Omar et Fred. Un exemple : « J’ai le regret de vous annoncer que les gambas que j’ai achetées chez le poissonnier sont mortes elles aussi. Je ne les ai pas encore chiées, mais ça ne saurait tarder. Plus regrettable encore, les gambas de Bretagne n’ont rien, mais alors rien à voir du tout avec celles de Rosas… » C’est signé d’un certain Yannick O. qui, vous pouvez le constater, n’est pas étouffé par son courage en signant de la sorte. Ignoble, innommable. J’en aurais presque envie de gerber mes carottes bio. Remarquez que ça pourrait me faire la soupe du lendemain.

Alors, c’est décidé, nous allons manifester très prochainement, nous allons lever des fonds comme l’U. V. T. F. — y a pas de raison, après tout —, nous allons nous sortir les doigts du rince-doigt et organiser un camp de déconcentration du homard et de la gambas… à Rosas. Une sorte de centre avec thérapie de groupe où toute une équipe de psychoaccompagnateurs et de chercheurs — on a des noms à te proposer dans le milieu taurin et moins taurin — proposera à ces bébettes des bains tièdes au citron, un sauna au riesling, un massage à l’huile d’olive sur lit de gros sel, voire même des séances d’U.V. à la plancha.

Et comme nous avons l’esprit large et œcuménique, nous ne nous limiterons pas aux homards, nous les accueillerons tous : langoustes, gambas, huîtres, tellines, sans oublier les moules. Tous… tous, tous ensemble Véro !

La capture d’écran sur Facebook n’est pas un fake. Ce délire est totalement réel. Rien n’est inventé, qu’on se le dise…
La seconde image, Homard sur téléphone, est une œuvre de Salvador Dalí.

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