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« Kuh ! »

Avec le sang froid du recortador et l’aplomb qui caractérise le récent champion du monde, je la vois franchir les barreaux d’un pas décidé et pénétrer sous les arcades de la place du Cristo-Rey. Un peu interloquée par les étroits montants d’aciers qui enlaidissent la somptueuse place de Cantavieja, elle apostrophe, dans ce qui me semble être la langue de Goethe, son mari resté du bon côté de la barrière — celui où l’on ne craint rien —, soudainement guidé par son instinct de conservation, et pas pressé d’admirer une des plus jolies places de la province de Teruel.

Appuyé contre le mur, près du Teuton prudent, j’attends tranquillement la sortie de la pupille de Mansilla. À l’autre bout de la place, le toril est ouvert et le personnel s’empresse de se mettre aux abris tandis que notre touriste allemande lui tourne le dos, cette fois agacée par la lenteur de son mari et le peu d’intérêt qu’il manifeste pour l’architecture médiévale de l’ancien royaume d’Aragon. Je plisse les yeux et pince mes lèvres — c’est ma façon de réfléchir et d’essayer de faire remonter à la surface les leçons d’allemand beaucoup trop éloignées et perdues dans les vestiges de neurones atrophiés. À cet instant, je ne me souviens que de Schnurrbart (moustache) et Umweltverschmutzung (pollution), mots qui semblent improbables mais tout à fait réalisables au scrabble, à la différence d’idiosyncrasique — notez que le scrabble est un jeu que je prends très au sérieux, certes depuis peu. Malheureusement, ces mots s’avèrent totalement inutiles dans la situation qui nous concerne.

Quand la vache fuse au travers de la porte, puis déboule sur le sable, la lumière jaillit et je lâche, vainqueur, un « Kuh ! » sonore. Ne pensez pas mal, ce « Kuh ! » salvateur n’est autre que la traduction, en allemand, du mot vache. De surcroît, on le prononce à l’espagnole — le « u » se disant « ou » —, ce qui est important car, cet été, sur nos plages, vous pourrez parler du cul de vos voisines allemandes sans qu’elles ne soupçonnent, à tort, que vous les prenez pour des vaches…

Bref, le fait est que notre amie allemande, éternellement reconnaissante, a été sauvée par un coup de « Kuh ! ». J’espère que, de la même manière, je pourrai sauver un Anglais ivre lors des Bous a la mar de Dénia ; mais ça, ce sera pour une prochaine fois.

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