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L’empailleur

1cyrJe suis entré et j’ai cru retrouver l’arche de Noé, écrasée, disloquée au fond d’un hangar de Rafelbunyol.

Éparpillés à même le sol, alignés sur des étagères, entassés dans des caisses ou simplement jetés sur un établi : un macaque, un chien, un tigre splendide, un faisan multicolore, une peau de chèvre, des coquillages biscornus, une tête de cerf à quatorze cors, des crânes de mouflons, un serpent, des papillons et puis, bien sûr, des toros ou des morceaux de toros. Partout, absolument partout. Dans cet antre obscur, il ne fait pas bon porter des plumes ou une fourrure. Le risque est élevé de terminer figé sur un cadre en bois verni avec une petite plaque dorée en guise d’hommage posthume.

Après cette vision dantesque, une autre partie de votre système sensoriel prend rapidement le relais : l’olfaction. Vous avez franchi les portes de l’atelier de l’empailleur, ce qui est différent d’une boulangerie par une fraîche matinée d’hiver, d’une boutique de fleurs après la livraison des roses ou des lys fraîchement coupés, ou de la caravane des chichis de la fête foraine les soirs d’été sur la côte. Nous sommes davantage dans le registre de la tannerie, de la viande morte, de la graisse rance, du sang caillé. Pas la peine d’insister. Ça demande un temps d’adaptation, forcément, ou alors un petit peu de Vicks Vaporub sous la narine à l’instar de Clarice Starling dans la scène de l’autopsie du Silence des Agneaux. Mais ce sera pour votre deuxième visite, car nous nous promenons rarement avec une pommade mentholée dans la poche. Dommage.

José est habitué à l’odeur et ne remarque même pas votre malaise, votre pas de côté pour éviter telle ou telle effluve un peu plus âcre. Tout en parlant de toros ou de corridas historiques, il continue de nettoyer l’intérieur des peaux, de retirer la graisse et la viande qui serait restées collées, afin que tout soit propre avant le bain et le tannage. Et puis, surtout, nous parlons de son travail, de son soin de reproduire l’expression des toros qu’il est allé voir dans les rues ou dans les arènes, de son attachement au respect des caractéristiques morphologiques des encastes, de son obsession de reconstruire un animal le plus réel possible, le plus « vivant » possible. Un vrai boulot d’artiste.

Si vous avez l’occasion de passer près de Massamagrell, à quelques kilomètres au nord de Valence, allez donc visiter le Museo de castas y encastes del toro de lidia, qui réunit quelques dizaines de têtes, fruit du travail de José et de Juan Eres, aficionado… a los toros.

Retrouvez, sous la rubrique « Galeries », une série de photographies réalisées dans l’atelier de José.

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