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Pobre de mí

Lorsque le frontal du toro cogne contre le pilón, la multitude se referme sur lui et semble l’engloutir. À proximité, on se laisse aspirer par le mouvement de foule qui nous emporte irrémédiablement vers l’animal. On tangue, on vacille et on se retrouve comprimé et pris dans la masse pour faire corps avec elle. On ne s’échappe pas de cette foule. On ne cherche pas à le faire. Le moment est grisant et presque magique. Petit à petit, on tente de se rapprocher, de se frayer un chemin en jouant des épaules et des coudes, pour être au plus près, pour sentir le toro, le voir, ou entendre son souffle. Plus on se rapproche, plus ça bouge et ça se bouscule.

Au milieu du vortex, les gens semblent se battre, poussent, hurlent parfois, ou bien essaient de se faire une place. Les emboladores tentent de mener le rituel tant bien que mal, dirigent, s’affairent et ferrent, vissent et serrent. Toujours dans la tension, jamais dans le calme.

Au milieu de ce magma humain, le toro se cambre et se débat, tend la corde et se tord encore pour se libérer de la multitude. Il faut faire vite. Une torche portée à bout de bras se fraie un chemin dans la masse et enflamme les boules qui ornent les cornes de l’animal. Si de coutume la foule s’éparpille et s’échappe, laissant seul celui qui coupe la corde et libère le toro, cette fois il n’en est rien.

Cette nuit, c’est le dernier toro embolado de la saison à Massamagrell. Au pilón, les gens s’écartent à peine pour former un cercle autour du toro et entament un Pobre de mí dans une sorte de communion collective — hystérie furtive. Un instant hallucinant, un grand moment de frisson et d’émotion. C’est le dernier toro de la saison à Massamagrell. Pobre de mí. La messe est dite.

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