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Prendre le temps

fb_sylvain-fraysse« Sylvain Fraysse est un artiste. On pourrait ajouter qu’il est artiste peintre, c’est son métier. Il fait aussi de la musique avec son compère artiste peintre Julien Cassignol. Ensemble, ils jouent de belles bossa nova grunge où l’eau des vagues est noire et charrie le pétrole. Parfois, Sylvain fait des photos qui cabossent par leur beauté et leur composition. Mais Sylvain Fraysse est avant tout peintre. Les aficionados qui ont marché dans Séville connaissent ses pochoirs de toreros. Avec le José Tomás géant peint sur un mur bleu décati en face des arènes de Nîmes avant son triomphe de 2012, Sylvain Fraysse a en quelque sorte clos son cycle de pochoirs. Et José Tomás en grand avant la corrida du 16 septembre 2012 est un joli point final. L’artiste ne souhaite visiblement pas s’éterniser dans une technique qu’il maîtrise trop bien, il ne veut sans doute pas, par délicatesse, être associé toute sa vie à ce travail seulement.

« Parmi d’autres nombreuses qualités, Sylvain Fraysse a l’art du tempo, du bon moment, sans doute parce que le graff fait partie de sa démarche artistique et qu’il ne faut pas se faire pincer quand on dessine illégalement sur un mur. Cet art du moment juste vient peut-être aussi du fait que le temps, la durée, est au cœur de son travail et des matériaux qu’il emploie. Le fusain, par exemple, pour de grandes toiles dont il dit lui-même, sans le dire, qu’elles s’effaceront lentement. Il ne les vernit pas, ne fige pas la matière, il la laisse évoluer à son gré. Il laisse ses œuvres se soumettre à une forme d’érosion.

« En animant un atelier pour enfants au Musée régional d’art contemporain de Sérignan cet été, Sylvain a appris à ses jeunes élèves la technique du fusain. En guise de travaux pratiques il leur a donné pour consigne : “Dessinez-moi un souvenir”. Un souvenir au fusain, la perche habile était tendue à ceux qui voulaient la saisir. L’une de ces élèves, 7 ou 8 ans, l’a saisie et a dessiné l’Etna. Cela a chamboulé Sylvain, le souvenir d’un volcan dessiné avec un bout de charbon, il n’en demandait pas tant et il avait réussi son coup. Au moins une personne avait compris où il voulait en venir et allait même plus loin.

« En ce moment au Carré d’art à Nîmes on peut voir une autre facette du travail de Sylvain Fraysse. Ce sont des gravures et l’exposition s’appelle “Let’s Build A Fire”. Les gravures s’inscrivent dans une autre démarche, toujours liée au temps. Cette fois la notion d’héritage entre en jeu. L’héritage d’une technique employée par des artistes révérés par Sylvain Fraysse, dont le maître Goya. Et l’héritage quotidien qu’est la vie.

« Côté héritage artistique, Sylvain Fraysse est un héritier de choix. Il allie la beauté du dessin à une sorte de combat avec la matière. Goya en faisait ainsi. En découle un romantisme noir et brut qui fait de Fraysse un artiste qui, avec une technique “classique”, vient éprouver frontalement des questions cruciales, mais simples, donc en réalité fort complexes, qu’il serait trop long d’énumérer ici. Prenons en quelques unes : le désir, l’amour, la destruction, l’absence.

« On creuse donc encore cette question de l’héritage. D’une certaine façon on hérite chaque jour du temps qui passe et disparaît en nous façonnant. Ici, le temps fugace du quotidien et des émotions vives est retenu par un autre matériau, l’encre noire indélébile. À l’opposé du fusain, la matière retient ici le temps qui se consume et Sylvain Fraysse inscrit son travail dans cet écart entre permanence et désagrégation.

« Je l’entends dire un de ces assemblages de mots dont il a le secret, “pertinente impertinence”, ou “incarnation de l’absence”,  mais attention pas de chichi, pas de jeux de mots. Sylvain Fraysse est un artiste contemporain qui ne fait pas dans la théorie. Comme il me l’a dit une fois : “Tu n’as pas besoin de savoir que l’eau c’est H2O pour l’aimer.” Pour son travail, il en va de même. Il laisse à d’autres le soin de pondre des modes d’emploi conceptuels servant trop souvent d’étais à un travail artistique bancale. Les mots, Fraysse les apprécie, mais s’en méfie, il fuit le bavardage et sa peinture est à cette image.

« Allez donc voir si vous passez à Nîmes ce feu en train de se construire. Vous verrez que l’art contemporain peut être honnête au sens fort du terme, profond, juste, sans feinte ni masque. Sans doute parce que Sylvain Fraysse a l’art de poser des questions en prenant son temps, se refusant à la facilité de l’affirmation immédiate. C’est honnête et Sylvain Fraysse l’est. » — Antoine Beauchamp

  1. pepina Répondre
    Ben ouais, voilà. J'irais bien à Nîmes, moi.

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