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« ¡En mi casa, no son gallinas! »

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À « Agustínez », vous ne verrez qu’elle. Parce qu’elle est imposante, mais aussi parce qu’il n’y a qu’elle.

Si vous connaissez les hauts pylônes de pierre élevés comme des pointes qui encadrent les entrées de deux des autres fincas de la casa, l’architecture de la récente placita de tienta de « Agustínez » ne vous surprendra pas. Le mélange de béton et de pierres y contraste avec la luxuriance du lieu où résident les plus anciennes encinas du Campo Charro. Dans un style plutôt lourdaud, tout ici est minéral, même les burladeros sont en pierre. Le bois est absent ou presque. Seul un vieux chêne enraciné aux pieds du mur depuis deux centenaires rappelle la matière vivante. Pour lui, le mur fut entaillé. Petit détail bêta mais on ne peut plus romantique, qui à lui seul en dit long sur la philosophie de la maison. Cartésien, je ne pouvais m’empêcher de me demander pourquoi préserver un arbre à cet endroit-là. Une fois mort, la question ne sera plus pourquoi il y avait un arbre, mais pourquoi y a-t-il une entaille dans ce mur. Oui, pourquoi préserver cet arbre ?

Un peu plus loin sous les encinas, les étalons sont aux premières loges pour observer, avec plus ou moins d’attention, les allées et venues ; car, à « Agustínez », la placita de tienta est située dans leur cercado… Après leur grâce, ils sont restés là, à seulement quelques centimètres, juste de l’autre côté du mur. Ils passeront la moitié de leur vie à profiter des vaches et l’autre à contempler le lieu de leur sacre, sanctuaire de la bravoure. On prête au taureau de combat une excellente mémoire. Les tientas annuelles, par les odeurs, le bruit et l’agitation humaine, rafraîchissent peut-être leurs souvenirs. Qui sait si ces activités ne ravivent-elles pas en eux leur furie passée ? À moins que ces idées ne soient que des hypothèses saugrenues, et que les étalons, en toute simplicité, ne vivent ces moments printaniers dans l’indifférence la plus totale ?

La matinée est douce. Confortablement installés au balcon de la placita, le soleil réchauffe nos visages et nous fait goûter avec d’autant plus de plaisir la prestation de Miguel Abellán  face à une vache d’une noblesse idéale pour le torero.

Tout à coup, des cris et des pas précipités montent quatre à quatre les escaliers et nous délogent de cet instant placide. “¡Aranca, aranca!” entend-t-on crier en bas. Et il faudra de longues secondes avant de trouver la lucidité nécessaire pour descendre l’escalier et fermer la porte, avant que… avant que notre étalon ne monte nous rejoindre sous le soleil du palco.

Si ses compères jouaient la carte de l’indifférence, lui était en furie. Il attaquait tout ce qui bougeait et même ce qui ne bougeait pas. À chaque fois qu’une voix s’évaporait de la placita, il la chargeait avec une large préférence pour celle du picador, qui fut contraint de se baisser et de baisser d’un ton pour éviter d’accroître encore sa colère. Certains mozos sortirent pour le faire reculer ; mais, à chaque fois, il se retournait pour les renvoyer se précipiter dans l’escalier, tandis que ses freinages secs faisaient des sillons dans la prairie humide.

Aux grands maux les grands moyens ! C’est Miguel Abellán en personne, qui, amusé par le petit manège, sortit en claquant des mains sans toutefois obtenir un meilleur résultat. L’échec ne l’amusait plus guère, et il récidiva plusieurs fois, se mettant même sérieusement en danger. Sur chaque tentative, il dut rompre, jusqu’à rebrousser chemin précipitamment. C’est alors que la sentence s’abattit comme un éclair : “¡En mi casa, no son gallinas!” (Chez moi, ce ne sont pas des poules !) « Et toi, tu essayes de les chasser en tapant des mains comme s’il s’agissait de vulgaires poules… » Ces mots, ceux de María José Majeroni, la ganadera, furent prononcés avec le sourire, mais ce qui était dit était dit, et tout le monde avait compris qu’ici un toro ça se respecte.

La petite histoire dura toute la tienta. Une fois celle-ci terminée, elle se poursuivit, et personne ne put quitter la placita. Notre étalon veillant avec zèle à ce qu’aucun de nous ne sorte, sans que son sang bouillant ne tiédisse. Les présents durent se résoudre à apprendre la patience, puisque pas un seul d’entre nous, qui plus est les professionnels, n’envisageait de tester une nouvelle fois sa bravoure.

Dans l’attente, et au fil des discussions, je me mis à regarder le vieux chêne. Ses branches me faisaient penser à des bras tendus vers le palco. Et si, et si c’était pour cela que…

María José, le vieux chêne, j’ai compris.

La photographie qui illustre ce texte est signée Vincent Mèche. Merci infiniment à lui.

Retrouvez, sous la rubrique « Galeries », quelques photographies prises lors de cette tienta dans la ganadería Castillejo de Huebra.

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