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Éloge de l’afición

Aragón, Matarrana, Valderrobles © Olivier DeckAinsi, l’aficionado serait un attardé, membre d’une tribu barbare qui laisserait libre cours aux forces obscures de l’âme pour son inclination à se repaître du spectacle de la torture d’un animal.

Pourtant, celui qui va aux arènes le sait, les forces obscures de l’âme y trouvent justement un destin privilégié. Elles sont convoquées au plein cœur de la fête — pourquoi le dénier ? — pour y être endiguées, dominées et, parfois, transcendées jusqu’à la beauté pure. Qu’on l’accepte ou le refuse, elle sont le bien commun de l’humanité tout entière. D’ailleurs, les zélateurs ardents de la cause antitaurine, à coups d’insultes et de provocations, font eux-mêmes la démonstration que l’énergie maléfique qu’ils prétendent combattre sait les prendre pour sujet, pour objet et pour arme.

L’unique dévastation du barbare tauromache consiste à exister en tant que lui-même et à aimer ce qu’il aime, qu’il veut rester libre d’aimer : le combat de l’homme et du toro. Ce qu’est ou ce que n’est pas la corrida, il le sait mieux que personne. Elle ne se comprend que lorsqu’elle s’éprouve. Si on peut l’accueillir d’un coup de foudre, on ne la connaît pas en trois dimanches. Elle réclame des années de présence, d’émotions, d’illusions et de désillusions pour révéler son essence, sa nature.

La passion tauromachique relève d’une idée profonde et radicale de la fête. Elle est aussi plus que cela, pour celui qui la vit comme on vit un amour au long cours. Elle est un chemin de bonheur, de beauté et de grâce. Un chemin d’amitié. Elle participe d’une culture, c’est-à-dire du lien entre les hommes, entre les peuples. À son plus haut degré, elle est cadence intime, affaire personnelle, chemin vers soi. Un sentiment. Une leçon toujours recommencée sur la fragilité des choses de ce monde. La cruauté y tient enfin sa juste place, au sens où l’entendrait Antonin Artaud : une sorte de théâtre sans metteur en scène. Deux acteurs — le toro et le torero — jouant leur propre rôle, jouant leur propre sort. Un souffle, celui de la vie qui lutte pour la vie. Un public intimement mêlé à l’action qui se déroule sur le sable. La voici, l’heure de vérité. La vérité du sang versé. La vérité qui rassemble dans la paume du destin l’homme et la bête. La bête, telle qu’en elle-même, splendide et brave. L’homme debout, devant elle. Face à l’adversité.

C’est sur ce chemin-là, de liesse et de tragédie, de partage et de solitude, qu’avance en toute conscience celui dont le cœur est pris par l’afición. Il est comme ces nomades qui vont, du printemps à l’automne, de pâturage en pâturage, et se retrouvent pour de grandes fêtes, d’intenses moments de communion, avant de reprendre leur itinérance. Il va, il voyage, il répond à l’appel de telle ou telle affiche qui l’emmènera vers telle ou telle arène, une couleur de ciel, un paysage, un souvenir, une espérance. Il est insaisissable et surprenant, incrédule et profond. Libre.

Libre d’être et de vivre selon ses propres penchants, humain aux passions assumées, sensible au cycle de l’énergie universelle qui met en jeu, à l’infini, les forces de création et de destruction.

Voilà ce qui se joue dans l’arène, encore et encore. Voilà pourquoi on y apprend à vivre, et aussi à mourir. Voilà pourquoi l’aficionado se sent parfois devant l’art du torero comme en présence d’un poème, d’une peinture, d’une symphonie, d’une œuvre magistrale. Un instant où la vie va plus loin que la vie. — Olivier Deck

  1. Nicolas Répondre
    Je partage votre avis . Moi je travaille sur un texte et j'ai fait une demande sur un news en ligne
  2. Didier Répondre
    Très bel éloge qui donne une image sublime de l'aficion et des aficionados !!! Merci...
  3. Clerch Dachs, Jordi Répondre
    Les barbares son les anti taurins.
  4. Velonero Répondre
    Magnifique! Merci Olivier Deck.
  5. p.a Répondre
    Super Deck is Deck. Essential. Thank's p.a
  6. k Répondre
    L'espoir à chaque fois renouvelé de pouvoir vivre un instant privilégié...la magie du Duende.
  7. xabi Répondre
    Superbe !

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