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¡ Es rico !

A Cabanillas de la Sierra, la tenancière du bar de la rue principale explique qu’elle a mal au dos. Elle y voit un signe du temps chagrin qui enturbanne les sommets proches de la Sierra de Guadarrama. Elle s’étonne que l’on débarque de France pour la seule raison d’aller voir des toros au campo. Mais elle sourit et nous dit que les Guzmán sont « buena gente« . A les observer entrer dans la pièce vide, il ne fait aucun doute que le troquet leur est familier et les échanges de palabres sur la poussée de la petite dernière — le portrait de sa mère ! — confirment la petitesse d’un pueblo d’où l’on devine Madrid si près, si loin.
« ¡ Toma ! ¡ Es rico ! »
On ne dit pas « c’est bon » ici. Dans un village niché au creux des rochers ronds et gris de la Sierra, où l’hiver doit durer trop, d’où les jeunes partent et où le temps file mal au dos, un bout de gras blanc comme un linge allongé sur un frêle esquif de pain est en effet une richesse que savent apprécier les locaux.
Les Guzmán élèvent des toros de combat depuis les années 1920-1930 et ont fixé leur savoir ganadero sur le sang Santa Coloma via Buendía (par Hernandez Plá puis récemment par l’introduction de vaches et de sementales acquis auprès de Adolfo Rodríguez Montesinos). Les bêtes se fondent à merveille dans le paysage, contrastant avec le vert luisant des prairies qu’ils foulent, leur robe cárdena rappelant les nuances menaçantes du ciel chargé.
La ganadería ne sort ni à Madrid, ni à Bilbao, pas plus en France ou à Tolède mais elle vivote bon an mal an dans des spectacles dits « mineurs » et parfois, parfois, dans une novillada piquée dans les environs. Le tourisme rural est devenu la seule option pour maintenir une activité qui coûte plus qu’elle ne donne. Alors on reçoit des groupes, des collégiens français, on fait cuire des saucisses pour soixante, on trinque aux toros, on joue avec deux vaches dans la vieille placita de tienta. On survit en somme pour que la famille Guzmán continue d’élever des toros de combat presque un siècle plus tard et conserve du mieux qu’elle peut sa richesse — car c’en est une — qui ne ressemble pas à une madeleine mais bien plus à un joli morceau de gras bien blanc couché sur un pain fragile. ¡ Rico !

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