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Je suis troglodyte

D’abord, comment va-t-il ?
Il va très bien.
Il est heureux ?
Il est libre.
C’est différent ?
C’est l’étage au dessus.

Félicien Marceau

Le fils de Joaquín Vidal me confiait un jour à quel point son père lui avait appris à se méfier des engouements de foule, unanimistes et radicaux. Nous étions chez Del Diego à siroter un cocktail. Nous parlions de José Tomás, version d’après son retour, version à la mode, celle du dernier wagon.

Le 13 avril 2016 à Séville, dans le genre mouvement unanimiste et moutonnier on peut dire que nous avons été soignés. Un véritable tsunami qui ne pouvait supporter en retour le moindre questionnement, le moindre froncement de sourcil.
Le tsunami s’est même répandu jusqu’à Vic qui s’est fendu d’un communiqué triomphant du genre : Enorme. Séville débarque à Vic, avec ses triomphateurs et leurs toros.
On pourra me raconter ce qu’on voudra, mais ça sonne curieusement, Séville qui débarque à Vic, une sorte d’oxymore taurin… Comme réseau et social.

Séville, un toro de Victorino et une grâce, totale, absolue, définitive, indiscutable, insoupçonnable, Historique, légendaire, cosmique, et j’en passe.
Alors forcément, pour ne pas y avoir été, on veut savoir, s’en faire une idée, obtenir un témoignage pour comprendre un peu.
On veut savoir  d’autant plus que cette grâce fut immédiatement vendue comme légitime et résultant essentiellement des qualités du toro, pas comme d’autres, pas comme toutes les autres en fait.

Lorsque José Tomás sauva la vie d’Idílico à Barcelone personne n’était dupe, ni des qualités du toro, ni du contexte. Même chose lorsque Manzanares gracia son Nuñez del Cuvillo. C’était Séville, Manzanita et un Nuñez del Cuvillo.
Là c’est encore Séville, mais c’est Victorino.… Caution torista, revendiquée même.
Alors on a fait ce qu’on a pas fait pour Manzanares, on lève un sourcil, et on part à la pêche aux infos.

Pour un évènement ganadero aussi important je commence donc par m’enquérir de ce qui reste, pour moi en tout cas, la clef de voute de la grandeur du toro : le premier tercio, celui des piques.
Et là… Patatras… tout s’effondre… Une pique et demie…
Et encore la première était loin d’avoir par exemple l’intensité ou l’histoire de la première de Bastonito.

Ce n’est pas moi, ce sont les commentaires.

Direction El País, avec peu d’espoir je dois dire, car la contrefaçon de ce que fut Joaquín Vidal n’avait déjà rien moufté sur le Cuvillo de Manzanita.
Et là pas plus, ou plutôt si, beaucoup plus : … de los templos sagrados de la tauromaquia, fue ayer miércoles protagonista y testigo de un hecho histórico y trascendental para la fiesta:… Cobradiezmos de Victorino, nacido para glorificar su especie y dar brillo a la fiesta y ser aclamado como uno de los más grandes que en este mundo hayan sido…Cobradiezmos es uno de los toros más bravos, encastados, nobles, completos y redondos que haya salido nunca en la Maestranza.

Il n’y va pas avec le dos de la cuillère. Un des toros les plus importants qui aient jamais vu le jour. Un des plus grands et des plus braves de toute l’histoire de la tauromachie. Avec une pique et demie. Et nous sommes chez El País. Je ne suis même pas allé lire le reste.

Vous allez me dire que j’écris pour ne rien dire, que ce n’est pas la première fois, que ce ne sera pas la dernière, et que, non, vraiment, no pasa nada.
Certes. Mais c’est la première fois qu’un indulto est ainsi présenté comme un tel sommet ganadero, un phare dans la nuit, et dans une arène de première catégorie.

Direction la maison, camposyruedos.
Notre Bartholin évoque très vite la légende et je me dis qu’il va nous parler des piques…
Eh bien non… Ou bien si, mais d’une drôle de façon. Les piques ? Un truc pour aficionado besogneux réduit à cocher des cases pour s’en faire une idée, genre fonctionnaire poussiéreux de l’afición. La formulation est vous en conviendrez un rien méprisante, tellement loin de la poésie et de la légèreté vaporeuse de l’art andalou. Je rame. Je me sens lourd tout d’un coup.

Alors cochons des cases, cochons… A ce stade du commentaire on évacue totalement la case «bravoure» qui ne sera cochée que dans la description de la faena. La bravoure moderne, celle du troisième tercio.

Je reconnais être très vieux jeu, voire même troglodyte, mais la bravoure pour moi, c’est encore contre un cheval. Ensuite ça s’appelle noblesse, agrémentée ou pas de caste, de vivacité, de fixité, de force et de tout un tas d’autres choses mais certainement pas de cette bravoure dont on ne saura jamais si elle aurait été démontrée lorsque c’était le moment.
Je sais, ce concept est désormais totalement obsolète.
Il n’empêche qu’à ce stade je suis toujours comme un con avec ma pique et demie.

Et notre Bartholin de bien préciser que l’arène bouillonnait du bonheur indescriptible de ceux qui connaissent leur chance d’y avoir assisté et qui savent où sont passés leurs impôts des jours précédents. Mérité ou non, cette Maestranza qui se contente si souvent de faire-valoir idiots venait d’obtenir la grâce d’un toro immense pour ses qualités propres et non

Donc ils se sont tellement fait… comment dire… enfin les jours d’avant… que celui-là…
Je ne vois pas le rapport, mais admettons. Et même compatissons pour la merditude des jours d’avant.

Attendons voir ce qu’en dit la revue Toros, normalement l’ultime rempart. J’attends Toros…

Patatras… C’est Jean-Louis Castanet qui s’y colle et ce n’est pas mieux… c’est même bien pire.
Les piques sont purement et simplement passées en pertes et profits. Leur nombre n’est même pas indiqué. C’est dire. On ne peut même plus cocher nos cases.
On s’émeut simplement du fait que l’animal ait pu gratter avant de s’élancer vers le cheval, mais, l’honneur est sauf, il gratta en regardant droit devant et non vers le sol. Ouf ! On a failli douter, et les cons sont priés de ne point polémiquer… (Ne polémi-CONS pas).

Ça commence à sentir le procès stalinien.

La revue Toros, celle du Tío Pepe, de Pierre Dupuy, de Joël Bartolotti et quelques autres…. Tout passe.

Il fut un temps, à Séville justement, où les ganaderos étaient jaloux de l’un d’entre eux. Chaque année celui-ci faisait combattre sa course le dernier jour de féria, le lundi, le lundi de la gueule de bois. Et les autres, sans doute envieux, surnommaient cette course : la tienta.
L’élevage c’était Maria Luisa Dominguez y Perez de Vargas.
Et la bravoure en ce lunes de resaca, c’était au cheval qu’elle se montrait, qu’elle était fêtée, qu’elle était choyée, et dignement, et avec un élevage andalou s’il vous plait.
Joël Bartolotti, ancien directeur de la vieille Revue m’a compté plus d’une fois, et avec émotion, la lidia de Coscorero combattu un de ces fameux lundis par Manili et piqué en musique. Et avant lui Topinero ou Comando gris… toujours des Maria Luisa, toujours à Séville. Comme quoi le troglodyte n’est pas, par principe, totalement hermétique aux sévillâneries !

On aurait presque honte désormais d’évoquer la bravoure au cheval.

Du comportement du Victorino de cette année au troisième tercio je n’en parlerai pas, je ne l’ai pas vu, pas même en vidéo.

Je ne doute absolument pas que ce toro ait pu être un immense toro de troisième tercio, qu’il ait put être animé d’une caste hors du commun, et d’une grande noblesse, qu’il ait pu aller «a mas», et plein d’autres bonnes choses et même qu’il ait pu faire l’arbre droit.

Ce genre de toro je pense en avoir vu quelques-uns, à Madrid, et de Victorino. Je peux citer bien sûr Murciano le 8 juin 2002 qui croisa la route de Luis Miguel Encabo. Ce toro ne donna pas grand-chose au cheval, deux piques, avant de se déverser tel un torrent de caste, de mobilité, et d’émotion. Inoubliable.
Murciano fut primé d’une vuelta, discutable, et discutée, because les piques, mais son souvenir demeure vif, encore aujourd’hui.

Il y eut aussi Escamón toujours à Madrid, toujours Victorino et avec Manuel Caballero. J’ai oublié l’année… 1997 ou 1998. C’était aussi le grand, le très grand moment d’un certain José Tomás, alors déconsidéré par la bien pensance qui lui préférait Enrique Ponce.

Chemin faisant, un ami madrilène abonné à Las Ventas depuis 1975 m’en évoqua bien d’autres, que je n’ai pas connus.

Ces toros vivent encore dans nos souvenirs comme celui-lui de Séville vivra dans le souvenir de ses témoins.

La question n’est pas là. La question est que l’afición d’alors n’a jamais fait de ces toros la pierre philosophale de la bravoure, n’a jamais songé à les gracier pour cela. Dans leur grandeur, ils étaient des toros de troisième tercio. Il leur manquait quelque chose pour atteindre le graal absolu.

Le problème est ailleurs. Le problème est la façon dont ce Cobradiezmos est promu comme l’affirmation de l’essence de la bravoure moderne, son expression la plus aboutie.

Cette journée n’est pas uniquement le triomphe de Victorino Martín, qui oui, restera un des plus grands éleveurs de toute l’histoire de la tauromachie, mais pas pour ce jour-là.
Cette journée restera comme l’officialisation de l’anéantissement du tercio de piques, son déclassement en une simple péripétie, bagatelle de la lidia.

Etrangement ce Victorino est d’une certaine manière la victoire posthume de Juan Pedro Domecq qui doit bien rire dans sa boite.

Avec cet indulto là, à Séville précisément, c’est l’acte de décès officiel du tercio de piques qui vient d’être signé par le taurinisme tout entier avec l’assentiment de l’afición. L’affirmation de la modernisation ultime de la fiesta.

Bref… Je suis troglodyte…

yosoy

  1. alain dervieux Répondre
    Salut François ! Je n'étais donc pas le seul à avoir des doutes (sans avoir regardé quoi que ce soit). Prochain indulto ? Nîmes ? A bientôt Alain
  2. Anne Marie Répondre
    Les piques, les piques... Les bonnes piques. Parlons-en à Olivier Riboulet. Les 7 piques de la bravoure. Et pas de grâce. Du bon saucisson. Parlez un peu de lui de temps en temps. Des élevages français qui ont du mal. Qui n'ont pas d'arènes. Il n'y a pas que l'Espagne et le Portugal. Vous le savez bien .

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