Commissariat de Caceres, 6h du matin, après une longue nuit d’audition, le commissaire Ramon Fernandez a les traits tirés et trois Français menottés face à lui.
Ramon Fernandez : Alors je récapitule vos dépositions : vous déclarez être le bras armé d’un groupuscule en ligne nommé Campos y Ruedos et votre faction se nomme GAI (Groupe Anti Indulto) qui prétend lutter contre l’inflation de grâces accordés à des toros de façon abusive. GAI… GAI… Sois Maricones ? No ?! Bueno si vous le dites… Vous avez été interpelés cette nuit vers 1 heure du matin dans un cercado de la ganaderia Victorino Martin Andres en possession de pesticides de marque américaine à consonance hispanique en dose concentrée que vous déclarez destinés à l’empoisonnement du toro Cobradiezmo, grâcié à Séville le 13 avril dernier.
François : pffff
Fred : on recommencera !
Laurent : el pueblo unido jamas sera vencido !
Ramon Fernandez : Vos gueules ! c’est une idée de qui ?
Fred : c’est compliqué
Laurent : on aurait dû tous les tuer !
François : pfff…
Fred : En fait Monsieur le Commissaire, ça a commencé le jour où Monsieur Bruschet ici-présent a écrit sur le blog de notre mouvement que j’étais une victime consentante de pratiques sodomites contre-nature au sens figuré par rapport à ma fréquentation des arènes de Séville pendant la feria du Domé… Après avoir produit plusieurs articles de qualité rarement égalée, je me suis retrouvé mis en accusation de façon inique et arbitraire au sein de notre bureau politique par la ligne troglodito-puriste courant romantico-abstinent incarnée par le même Monsieur Bruschet toujours ici et toujours présent au motif que j’avais eu une attitude enthousiaste et déplacée en marge de la grâce de Cobradiezmo dans ces mêmes arènes le 13 avril. Les éléments de mon compte-rendu de la corrida furent décrétés factieux, décadents et non-conforme à la ligne politique du mouvement CamposyRuedista. Je proposai alors ma démission qui fut refusée. Je me suis retrouvé dès lors et de fait prisonnier idéologique et condamné à la dégradation. Mon œuvre journalistique fut requalifiée en catégorie blablabla et mon statut d’ennemi de caste justifié par mon ton qualifié de méprisant.
Laurent : t’exagères un peu, Fred…
François : pffff…
Fred : Pas du tout, j’avais dans cet article la triple ambition de rendre compte d’éléments factuels, de faire-part de mon enthousiasme quant à la bravoure de Cobradiezmo et d’évoquer le crescendo émotionnel qui saisit les gradins au fil de la lidia de ce grand toro. Je n’ai pas été compris dans cette démarche et fut mis en accusation. Mais je maintiens que l’ennemi de la cause toriste que je devenais de ce fait aux yeux de mes coreligionnaires a toujours été un précurseur stylistique ignoré.
François : Grand toro… une pique et demie, pfff…
Fred : Si t’en voyais 5 par an des toros comme ça, tu serais un peu plus motivé pour aller aux arènes, Paco !
François : Tant qu’on peut y aller à pied, ma foi…
Laurent : C’est alors que j’ai proposé une médiation au camarade Bartholin pour se racheter de sa social-traitrise et de son sacrilège idéologique. Fort des principes pédagogiques dits de Vallaud-Belkacem III-12, j’ai proposé à notre compagnon de lutte égaré de nous proposer et exposer lui-même sa feuille de route sur le chemin de la rédemption idéologique pour un torisme intégral, pur et conforme.
Ramon Fernandez : Vous vous foutez de ma gueule ?! Qu’est-ce que vous foutiez dans ce putain de champ à la fin ?!!
Laurent : J’y viens… la proposition fut d’aller tuer Cobradiezmo pour rendre justice et grandeur à la fiesta et revendiquer notre geste.
Ramon Fernandez : Mais vous êtes ahurissants de connerie !
Fred : Monsieur le commissaire, quand l’amitié vacille il convient de prendre des mesures fortes. CyR étant ma famille autant que mon clan je me devais de prouver ma détermination dans l’accomplissement de son programme ainsi que renouveler mes vœux toristes afin de souder autour de moi la communauté en danger. Pour ce faire, je proposai de créer au sein même de notre entité le Groupe Anti Indulto pour punir de mort les toros grâciés et faire cesser cette mode ridicule.
François : ça fait pas viril comme nom, pffff…
Ramon Fernandez : Sin embargo, dans votre texte du percepteur volant, vous étiez plutôt enthousiaste… Il méritait pas la grâce ce toro ?
François : Une pique et demie, pfff…
Laurent : Faut tous les tuer !!
Fred : Ben non il la méritait pas ! Enfin pas fondamentalement mais avant que les gens se mettent à lire entre les lignes, vous savez… Et puis un grand toro, c’est mieux quand ça prend une grande épée. Personnellement, ce débat sur l’indulto me semblait au fond aussi pertinent qu’une discussion sur une deuxième oreille de Daniel Ruiz pour le Juli à Arles un lundi de Pâques, mais j’en connais que ça a tracassé. Pour ma part, ça me semblait un peu stérile comme discussion, mais je vais encore me faire engueuler.
Ramon Fernandez : Et pourquoi commencer par lui ? On a vu plus scandaleux, non ?
Fred : Pour frapper un grand coup pardi ! On allait pas dézinguer un novillo de Cuillé quand même, fallait frapper fort dès la première action ! Et pour la réconciliation, vaut mieux se choisir un bouc-émissaire un peu sérieux, tous les psys vous le diront !
Laurent : Enfin, les profs d’histoire surtout…
François : Les notaires par contre…
Ramon Fernandez : Donc vous avez décidé d’y aller vous trois ?
Fred : On a bien tenté de suggérer à d’autres de s’en charger, mais on s’est dit qu’on lancerait le mouvement et que petit à petit de nouvelles cellules de lutte se mettraient en marche de façon spontanée. Pour faire plaisir à François, on est parti à pied.
François : C’était loin, pfff…
Ramon Fernandez : Vous êtes vraiment trop cons, foutez moi l’camp d’ici, si je vous retrouve à trainer vos guêtres dans les parages, je vous envoie pieds et poings liés à la feria de Nimes en barrera à vos frais, ça vous apprendra !
François : pffff…
