Il y a quelques mois, suite à la publication d’un texte considéré par certains comme polémique, un membre du Club Taurin Vicois me glissait au téléphone, sous la forme d’un conseil qui se voulait bienveillant, que ce genre de prise de position allait « nous fermer des portes » et que Campos y Ruedos « n’allait pas se faire des amis ». En raccrochant, je m’étais fait ce semblant de réflexion que le minuscule monde taurin français, minuscule à bien des égards, était tout à la fois pathétique, risible, et, sans doute possible, vicié. Que ne se moquait-on, ici, à Campos y Ruedos, de voir se « fermer » des portes que nous n’avions nulle intention d’ouvrir et si tel avait été le cas, les voir se fermer n’eut engendré qu’un simple sourire assorti d’un haussement d’épaules. Être accrédité en callejón, puisque c’est de cela qu’il s’agit, n’a d’autre ambition — on conviendra de la modestie de l’ambition —, à notre sens, que de pouvoir y prendre quelques photographies permettant de rendre compte, peu ou prou sous la forme du reportage, d’une course de toros. Des contradicteurs rétorqueront qu’il est possible de faire de même depuis les tendidos et ils n’auront pas tout à fait tort. Au demeurant d’ailleurs, certaines des plus grandes photographies de tauromachie ont souvent été saisies depuis les gradins voire même en dehors de l’arène. Les oeuvres de Crouser, García Rodero ou Pomès en témoignent mais dans leur cas, arguons que la démarche relève plus de l’art à proprement parlé que du reportage. Ne nous le cachons pas à la fin, il est plaisant, quand on goûte un tant soit peu la photographie taurine, de pouvoir photographier parfois depuis l’espace étroit du callejón.
Chaque année, des membres de Campos y Ruedos sont accrédités ici ou là, en particulier et surtout dans les arènes pour lesquelles ils éprouvent un respect certain ; respect en grande partie fondé sur la « philosophie » taurine du lieu. C’est le cas de Vic-Fezensac depuis quelques temporadas et l’année 2016 ne devait pas faire exception. Ainsi, quelques semaines avant la Féria de Pentecôte 2016, a été demandée la possibilité d’obtenir une accréditation pour un callejón au nom de Campos y Ruedos et cette demande a été ponctuée d’une réponse positive de la part du CTV.
À l’arrivée aux arènes de Vic le samedi 14 mai 2016, la surprise fut de taille pour le représentant de l’équipe d’apprendre que finalement non ! Il n’y aurait pas de callejón pour Campos y Ruedos mais qu’en contrepartie nous était attribuée une invitation dans les tendidos. Ne courant pas après la gratuité et/ou les privilèges et tenant à une certaine idée de notre liberté, l’émissaire cyrien s’en fut rendre l’invitation du CTV et acheter son abono à la taquilla.
En soi, une organisation a tout à fait le droit de refuser une accréditation à quiconque, et ce, parfois même pour d’obscures raisons de petit pouvoir digne d’un caporal-chef, de basse vengeance ou d’inimité tout simplement. Campos y Ruedos a déjà vécu cela et ces refus ne nous ont pas pour autant poussés à prendre la plume. En gros, c’était le « jeu » et nous haussions les épaules.
Le cas vicois de 2016 nous semble différent à plus d’un titre :
- L’accord a été donné par écrit quelques jours avant la première corrida. Au dernier moment, et sans raison apparente ni clairement explicitée par le membre du CTV, le CTV se renie et refuse l’accréditation.
- Le dimanche 15 mai 2016 en matinée a été envoyé à un membre du CTV (par François Bruschet) un message qui témoignait de notre étonnement face à cette situation. La réponse donnée ne laisse pas de surprendre : « Nous avons dû changer et réduire le nombre de photographes au callejón. La décision du président : tous les sites web au-dessus de l’infirmerie ».
Ainsi, à suivre la logique du CTV, tous les photographes de « sites web » se seraient donc retrouvés dans les gradins durant cette féria 2016. Las, selon plusieurs sources présentes — photographies à l’appui si nécessaire — ont été vus dans le callejón vicois des photographes connus ou moins connus mais que nous savons animer des sites web. Y aurait-il donc une hiérarchie établie par le CTV concernant les sites web ? Une hiérarchie de la qualité photographique de ces sites web ? La politique voulue par le « président » — nous imaginons bien que d’autres à ses côtés ont dû la valider — ne s’applique donc pas à tout le monde et l’on ressent tout de suite cette désagréable impression d’être pris pour des cons.
Et puis, au-delà des traitements de (dé)faveur, l’idée même de vouloir réduire le nombre de photographes présents en callejón — sous couvert de l’augmentation exponentielle du nombre de sites web ces dernières années — et de les envoyer en hauteur ne peut que faire sourire pour qui connaît un peu le callejón vicois. Il s’agit de la contre-piste la plus remplie d’inutiles, de pique-assiettes et d’ivrognes du Sud-ouest. Les alcôves dégueulent, qui du club de basket local, qui de la peña du torero chouchou aux dents blanches, qui des copains bayonnais, qui du journaliste de la presse régionale tellement aviné qu’incapable de suivre le fil de la course, qui celui qui débouche la fiole d’armagnac, qui l’indispensable organisateur d’une autre féria du Sud-ouest qui rendra l’invitation en août ou en juillet aux représentants du CTV — certains même y tireraient leur crampe durant les nuits agitées de la féria — ? Nous l’avons déjà écrit il y a longtemps, le callejón ne devrait se laisser marcher dessus que par les cuadrillas et les photographes. Les autres n’ont rien à faire là ! Mais au final, on fait de la place en virant les photographes (une partie) des sites web. Trop nombreux les sites web qui ont publié gratuitement les cartels, photos et affiches de la féria ! Trop nombreux les sites web qui se sont fait l’écho des lettres d’information envoyées par le CTV — ici, à Campos y Ruedos, nous avons décidé depuis l’an dernier de ne plus faire aucune publicité pour une quelconque arène avant sa féria, Vic comme les autres, et ce, dans un souci de préserver une certaine indépendance de ton à l’heure de commenter les courses. Trop nombreux enfin les sites web qui ont, l’an dernier, gratuitement, par pure afición, par sympathie aussi ne le cachons pas, donné des photographies du lot de novillos de Hoyo de la Gitana au campo ; photographies dont l’une fut utilisée sur les flyers officiels de la novillada de septembre 2015 (les photographies étaient de Laurent Larrieu de Campos y Ruedos…).
Bref, cette année, il n’y aura aucune photographie des corridas de Vic sur Campos y Ruedos. L’invitation a été rendue. Cette année, l’ancien président du CTV pourra venir me serrer la main et me dire comme il le fit un jour par le passé : « j’aime tes photos mais pas ce que tu écris ». Je lui répondrai que moi j’aime les toros du CTV mais pas ses manières.