Le front appuyé sur l’acier froid d’un montant de la barrière, je m’efforce d’évaluer les distances, de m’imaginer les itinéraires et de calculer les temps de route. La province de Teruel, ce n’est pas la porte à côté. Je me dis qu’il va falloir partir de plus en plus tôt les samedis après-midi, aguanter le « tu pars déjà », encaisser le « tu reviens à quelle heure ? », toréer les regards réprobateurs, et leurrer en s’indignant que, décidément, les festejos démarrent de plus en plus tôt et finissent de plus en plus tard. Il faudra être habile et varier les suertes car les feintes ne marcheront pas éternellement. Néanmoins, le jeu en vaut la chandelle car la province de Teruel est le territoire propice à de nouvelles découvertes, peut-être même la pêche de la perle rare comme ce fut le cas l’année dernière avec Cantavieja. Cette fois, le hasard a voulu que j’atterrisse à Mora de Rubielos où les vaches foulent la Plaza de la Villa dans un décor de vieilles pierres et une ambiance authentique de village. Des vaches rousses d’un élevages aragonais aux influences navarraises : Hermanos Ozcoz, dont la correcte prononciation pourrait être une épreuve d’examen de langue castellane ou un ‘postillonnage’ en règle.
Le petit air frais qui souffle par ces latitudes me fait reprendre mes esprits juste au moment où retentit la sirène qui annonce la sortie imminente de la brave depuis les corrals situés dans le bâtiment même de la mairie. La vache traverse le couloir, franchit la large porte de bois de l’édifice, accélère dans l’étroit passage situé sous les arcades et déboule sur le sable de la place rectangulaire. Une douzaine de vaches braves et une paire de toros se succèdent pendant quelques heures, poursuivant inlassablement les rodadores jusqu’à percuter les barrières par où ces derniers s’échappent. Pas d’obstacles, pas de pyramide, pas d’entablao, pas de banc. Rien. Juste du sable et l’espace juste et suffisant pour que se succèdent les courses et les écarts. La façon la plus simple et la plus pure de se mesurer au bétail brave en festejo populaire.