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Cristobal Hara, Lances de aldea, Photovision, 1992.

Cristóbal Hara est un grand d’Espagne, un de ces photographes dont l’écriture est porteuse d’une telle puissance, d’une telle personnalité, que peu importe le sujet. Hara est au-delà du sujet. C’est sans doute ce qui en fait un artiste. Comme le disait Sieff, il n’y a pas d’art mais il y a des artistes. Cristóbal Hara est de ceux-là. Et c’est sur le site du musée Reina-Sofía que vous pourrez trouver les images d’un livre absolument remarquable publié en 1996 : Lances de aldea.

« Lorsque j’ai choisi la couleur, cela faisait 17 ans que je travaillais en noir et blanc. Mon propre travail m’ennuyait ; je ne parvenais pas à sortir du langage conventionnel, et j’ai failli abandonner la photographie. J’ai essayé la couleur comme un dernier recours. Lorsque j’ai débuté la photographie la couleur n’était utilisée que pour des travaux très commerciaux ; il y avait les choses prétentieuses de Ernst Haas et du National Geographic. Cela dit, il commençait à y avoir des photographes qui utilisaient la couleur de manière plus naturelle, mais le problème était que leur langage était très américain, et je ne voulais pas faire une photographie américaine. Je me suis dit que je devais essayer, mais à partir du langage visuel espagnol ; un langage plus baroque et émotionnel, mais aussi plus sec, avec cette austérité si espagnole… Ce langage de Velázquez, Goya, Ribera. »

Hara est un coloriste, comme peut l’être aujourd’hui Dolorès Marat, ou comme le fut hier Saul Leiter.
 La couleur, encore moins que le noir et blanc, ne supporte la médiocrité. Être un photographe coloriste est à la portée de très peu de monde. Hara est de ceux-là. Chez lui, comme chez les grands, les couleurs sont partie prenante de la composition. Il joue avec, les utilise.

Loin des paillettes des grandes férias, c’est le monde des pueblos et d’une Fiesta marginale qui est le cœur du projet Lances de aldea. Un témoignage rare et authentique sur la dernière génération des maletillas ; la vision d’un auteur photographe : « Le sujet était tellement fort que je pouvais l’oublier, me concentrer sur l’image. Les silhouettes noires m’ont été inspirées par une série de peintures de Robert Motherwell intitulée Elegía a la República española. Au cours des années 1960, j’avais été très impressionné par l’expressionnisme abstrait nord-américain. Mélanger ceci avec une base de baroque espagnol… c’est très amusant si cela fonctionne ! »

Le résultat est pour le lecteur la vision crue, primaire, parfois violente mais fascinante d’un monde qui peu à peu disparaît et dont on se demande s’il existe encore. Lances de aldea est un livre unique, sans équivalent, incontournable et hélas à peu près introuvable. — François Bruschet