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Affaires sévillanes

L’on se sent parfois poissard lorsque l’on arrive après deux courses célébrées par la critique et les présents et que l’on attaque par la course de Juan Pedro. Poissard mais pas que, un peu merdeux aussi, car l’on s’y attendait : une bonne course de Santiago Domecq (superlative apparemment) et une autre de Parralejo (des oreilles et de la Porte du Prince) mais pas autant qu’à une mauvaise course de JP. Morante a pourtant été bien au premier. Manque de bol au tirage au sort, ou plutôt au choix de sortie, c’était le premier, le public froid sous le cagnard voire pire : no hay billetes implique d’arriver tôt aux arènes : les dernières minutes avant le début de la course virant à la pacifique foire d’empoigne, un grand jeu de chaises musicales mais sapé Séville : la veste, les mocassins à gland, le pantalon clair, la ceinture tressée sans élever la voix… Morante donc, pas d’écho au premier, pas de chance au 4 (ou plutôt selon Jeannot pas d’envie et la panoplie du garagiste devant la boîte de vitesse qui grince un peu), la tête comme pour Pâques et la dépression en bandoulière. Aguado a toréé : à la cape avec ce capote moins rigide que les autres et cette Véronique particulière, mais il n’y pas de secret, les toros « cuajés » de sortie durent rarement. Au milieu coulait une rivière (Manzanares). Morante remplit toujours donc mais donne le sentiment de susciter moins d’attente. Il fallait « y être » l’an dernier puisqu’après ça il semble ne plus rien avoir à ajouter.

La question qui semble animer un peu les débats tourne autour du « derby de Gerena » entre les voisins rivaux Roca et Luque. En bref, le Péruvien boycotte le Sévillan pour une sombre histoire (ça murmure de fesses évidemment, sinon ce serait un peu dommage). Problème le Sévillan est en pleine bourre en sa patrie aussi, Dax ayant perdu l’exclusivité, alors le Condor est passé par quelques lazzis à la Résurrection sur le même sable. Leçon de communication de crise de l’équipe de Dani dans l’ABC du jour : lui qui n’a pas pu toréer en Espagne jusque là laisse entendre qu’en effet il n’est guère sympathique et ne sait pas trop y faire mais voudrait juste être reconnu pour ses mérites en piste. Et puis, il est assez adulte pour parler du différend avec l’intéressé quand celui-ci voudra bien lui expliquer ses griefs. Et son papa est à l’hosto. N’en jetez plus ! Reste à savoir quand ces deux là seront suffisamment malins pour monnayer leur rivalité en piste, mais pour l’instant la distance reste de mise : Luque vendredi, Roca samedi avec les Victorinos.

Dani doit donc taper un grand coup, les tendidos sont de son côté, il est plus sûr de son toreo que jamais, ne reste qu’un détail : les Núñez del Cuvillo ectoplasmiques, petits, vilains, ersatz de je ne sais quoi à cornes. Le premier s’appelle Pantomimo et cela lui va très bien. Urdiales, passé de survivant de l’escalafón se raccrochant à la Victorinade suivante au statut de disciple nordiste de Curro Romero en fait son affaire : faena douce de vieux maestro, allongeant de façon suave le filet de charge, compensant par l’empaque et la toreria. Puisque ce jour-là tout le monde est confortablement assis à temps, une merveille d’exécution d’estocade (un poil de côté) libère une oreille. Moins à son affaire au 4, Diego ne sait comment attraper le machin, au goutte à goutte, à droite, en enchaînant à gauche, tente de rattraper le coup par des naturelles de face qui n’intéressent plus grand monde. Pinchazo et autre grande épée parfaitement en place. Au milieu coule Talavante dont le toreo actuel ne devrait pas tarder à faire condamner Casas pour publicité mensongère sur Instagram : du détail et du sourire, des séries courtes surtout. Une oreille au 2, tout aussi discret que les 3 autres autour, un désastre avec le seul « toro » de la tarde : le 5 est présenté, astifino, galope et à une corne gauche à toréer. Mais une corne gauche qui déborde l’Extremeño dès la deuxième série et le pousse à finir celle-ci comme si de rien n’était sur la droite qu’il ne quittera plus. Détails qui ne trompent personne ou presque et pinchazo pour en être sûr. Mais voilà Luque dont le 3 est une blague à cornes, indignement faible : simulacre de pique et par deux fois le picador devant lui tapoter le cul pour lui proposer d’aller voir ailleurs (au cas où l’animal se serait fait mal en s’endormant dans le matelas ?)
Luque est sûr donc : il est puissant, il sait tout faire, il cajole à mi-hauteur puis baisse la main à gauche, il exprime un invalide comme on exprime un citron et tue suffisamment rapidement pour promener l’oreille du Mickey. Le 6 est un jabonero sucio couleur bronze promenant partout son allure de vache sans s’arrêter de courir, assommant pour Ivan García à la brega, divertissant pour Luque qui semble en faire sa chose dès la première série. Même si ce n’est pas tout à fait ça, cela y ressemblera vite (il faut reconnaître que la chose n’est pas évidente). Une bonne série à gauche à toro rendu puis toute la panoplie de ce que l’on aime pas à toro vaincu (rajado) : du toreo dans les cornes en passant soi-même et puis de la Luquesina bien sûr. Autre estocade efficace et celui qui « ne sait pas trop y faire » mais en a tellement fait que le public demande, exige et obtient la seconde oreille synonyme de Porte du Prince. Le muletier avait semble-t-il mission d’attendre le temps nécessaire. Porte du Prince discount bien tapinée, mais Dani tape du poing sur la table.
Samedi, Victorino et le cartel de la feria. À propos de feria, le campo ouvre ce soir et l’arène est pleine et ultra « minchée » : gitanas et flamencas de toutes parts, ce qui ne fluidifie guère les installations et les évacuations des personnes ayant fait des malaises. Pour mettre tout le monde mal à l’aise et dans la course, Escribano a la recette : Porta gaiola et cogida à la troisième Véronique. 10 cm dans la cuisse, infirmerie.
Borja Jímenez, promesse locale très attendue après son triomphe de Las Ventas à l’automne, récupère le « cadeau ». L’Albaserrada promène un fond de faiblesse comme la plupart de ses frères du jour et une embestida très incertaine, on ne verra rien au cheval. Tout au long de la course, chaque passe semblera peser une tonne et requérir un effort particulier. On ne torée plus dans la même catégorie, Borja est à deux doigts de faire les frais d’un remate relâché à ce 1 qu’il ne tue pas assez bien pour prétendre à un trophée. Au 3, leçon de toreo et de domination, constamment croisé, rematant derrière la hanche au long d’une faena essentiellement gauchère, un véritable régal mal conclu à l’épée avec une estocade plate au deux tiers et lente d’effet sur-vendue par le blond torero. Une oreille. Sans grande option au 5. Roca Rey s’envoyait ses premiers Victorino, n’était-il pas temps ? Le 2 est haut, très clair, asaltillado en diable mais trop faible pour permettre quoi que ce soit. Roca en tirera ce qu’il peut, un peu chahuté parfois, sans susciter beaucoup d’enthousiasme. Le 4 restera court également : le Péruvien en fera son affaire en début de faena puis tâchera d’en tirer des passes alors que le Victorino semble écoeuré, peut-être un peu étouffé. Des passes il y en aura, au prix de constants replacements à grandes enjambées disgracieuses. Il fallait probablement le faire mais l’ensemble restera sans grande émotion. L’émotion revint justement avec Escribano, opéré sans anesthésie générale, jeans d’un copain tatoué qui joue au Betis, sans veste mais en gilet qui lui donne un air d’écarteur landais : le voila en piste pour tuer son 4 en 6ème position. Ne “se la doutant pas”, le voilà à nouveau face à la porte de la cage, la musique jouant in petto, attendant infiniment une sortie longue comme une opération sans curare. Sortit probablement le meilleur Victorino du lot et le 3ème de Gerena fit ce qu’il put, plutôt bien au capote (le sol se couvant de chapeaux), allant jusqu’à poser deux paires de banderilles à un toro accélérant en approchant de la juridiction. L’on imagine que les points avaient sauté depuis belle lurette quand débuta une faena décousue, debordée rapidement puis récupérée par un Escribano opiniâtre, étonnamment relâché dont l’accoutrement donnait la sensation de le voir dans une aimable tienta campera festive (ce n’était pas le cas). Le président ne douta pas non plus à sortir deux mouchoirs alors que le matador saluait encore au centre ni à les retirer vite, créant une confusion dans les tendidos qui n’avaient rien vu. Vuelta al ruedo interminable et légitimement fêtée du héros de la soirée sortant sur ses pieds avant de rejoindre à nouveau l’infirmerie. Certains amis jugèrent la prestation excessive, la nuit tombait sur une corrida chamboulée (quinté dans le désordre…) il y avait de quoi parler et manger. Séville sur son 31 se dirigeait vers la feria, Kelly McGillis semblait avoir trop bu. La vie était belle. 

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