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El silencio del pilón

Un chut puis deux puis dix puis cent. En dix secondes, le silence était maître et seule la nature, à l’heure d’ouvrir les yeux, se permettait des murmures discrets mais pas plus. Sur le parcours de terre fraîchement arrosé, à l’endroit précis du drame, une procession de notes noires a volé dans l’espace, le ciel, fouillé les recoins de cailloux, les grottes, les trous de serpents et déchiré les coeurs. Le diario l’annonçait en une, la femme qui avait chuté il y a deux jours était décédée dans la nuit. 12 mètres, 20 mètres au fond du barranco. On lui jouait le « Silencio », cette procession de notes noires et pures à tirer des larmes sincères aux herbes folles et sèches de l’été navarrais.

«  C’est dangereux partout ici ! Sauf sur la colline en face, ja ja ja ».
Endimanchés, repassés au cordeau, les petits vieux de ce pueblo de 2500 habitants grimpent tous les matins de cette semaine d’août sur les collines du barranco qui se cache derrière Falces. Sûr qu’ils doivent en connaître les moindres recoins, sûr qu’ils y ont joué gosses et que déjà, gosses, ils grimpaient, mais plus vite, en cette même semaine d’août. L’encierro del pilón de Falces aurait vu le jour dans le premier quart du XX° siècle. Il n’y en avait qu’un seul autrefois et comme c’est souvent le cas, il y avait beaucoup moins de coureurs. Pour les fêtes de la Virgen de la nieva, les Falcesinos, comme tous les Navarrais, aimaient défier les bestioles braves du cru. Elles arrivaient à pied depuis les élevages, par la montagne, pour éviter de leur faire traverser le río Arga qui caresse le village à l’est et va se jeter plus au sud dans l’Èbre. Alors, les habitants « acudían provistos de pan, chorizo, bacalao y vino para esperar a que bajaran los animales por el cerro »1 — on ne sort jamais sans son chorizo en Navarre ! Titillés par ses vaches qui perdaient parfois le nord dans les entrelacements poussiéreux de ce qu’ils nomment des montagnes, les jeunes se mirent à courir devant elles pour jouer à celui qui avait la plus grosse et susciter l’admiration de la voisine. Un truc typique de jeunes en somme, pour tuer l’ennui, pour inventer un jeu bien con, bien dangereux, pour emplir sa malle de souvenirs quand il sera temps de ne venir ici qu’à la force de sa canne.
La pente est raide en son final, le vallado monte à la ceinture, pas plus haut, et les vaches vont vite, très très vite. Si tu tombes ici, tu décanilles les spectateurs sur ta gauche (pour eux, c’est la possibilité de chuter dans le barranco tant l’espace est mince) ou tu t’envoies à pleine vitesse un joli bocadillo de calcaire arrosé d’un coup de pied — ou de corne — d’une rouge vache navarraise. Après, pas de doute, ça doit épater la voisine.

Si le nombre de coureurs n’a cessé de grimper ces dernières années du fait de la médiatisation plus facile aujourd’hui, Falces a conservé une authenticité chaleureuse. Le 16 août, à 7h30, à l’heure de monter (les vaches sont montés vers 7h30 par le même chemin que celui de l’encierro et à pied étant donné qu’un camion ne passe pas ici.) attendre le début de l’encierro dans les corrales, trois vaches ont décidé de prendre la poudre d’escampette dans les profondeurs végétales du barranco. Au passage, l’une d’elles a collé une bise à un photographe obligeant celui-ci à rentrer chez lui en ambulance. À 7h45, tout le village était au courant. Chacun y allait de sa théorie pour arriver à sortir les vaches du canyon. À 8 heures, les papys accouraient canne à terre pour constater et commenter l’information livrée par le voisin. À 8h30, tout le village était rassuré car trois « basques » (c’est ainsi que tout le monde les nommait) fouillaient le ravin avec des sortes de pitbulls excités pour localiser les vaches qui furent promptement remonter à la surface, en finesse, en les tirant à la corde (une tradition basque !). À 9 heures, commentaires et récits d’autrefois cessaient, le cohete crépitait puis explosait dans le ciel moutonné, la montagne était livrée aux vaches rouges et aux fous du pilón.

  1. Source : turismonavarra

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