Nous traduisons aujourd’hui un article d’Antonio Lorca, critique taurin du quotidien El País : El toreo, una mafia sin competencia. C’est sans concession, clairvoyant, peut-être discutable sur quelques points, très peu, mais surtout ça arrive très tard. Antonio Lorca, après la disparition de Joaquín Vidal, a grandement diminué la crédibilité et l’audience de la section taurine du quotidien. Il suffira de se souvenir de ses positions démagogiques et dans l’air du temps lors de la grâce de ‘Cobradiezmos’ cette année à Séville ou d’un toro de Manzanares dans ces mêmes arènes quelques années plus tôt. Mais bon…
Le toreo, une mafia sans concurrence
Le torero Andrés Roca Rey a subit une sérieuse voltereta à Malaga et est «tombé» de la féria de Bilbao.
Le cartel est devenu un mano a mano entre López Simón et José Garrido par imposition du premier pour commencer et ensuite par l’inexplicable acceptation de la Junta Administrativa.
C’est ainsi que fut barré le chemin à un autre jeune torero -c’est le cas de Javier Jiménez, récent triomphateur à Las Ventas-, et le public, logiquement, a exprimé son mécontentement.
Le rejoneador Diego Ventura n’a pas encore débuté à la San Fermin, par décision expresse de Hermosa de Mendoza qui commande dans ces arènes, avec le silence coupable de la Casa de Misericordia.
Enrique Ponce, vedette indiscutable, combat depuis des années des invalides en démontrant qu’il est un parfait «ressuciteur» de morts vivants.
El Juli, un autre torero qui a obtenu la gloire par ses mérites propres, se limite à un encaste facile et invalide qui lui permet de se maintenir facilement sur les hauteurs.
José Tomás, un diestro de légende, jouit de vacances rentables. Erigé en phénomène social, il fuit sans honte l’exigence et se remplit les poches (et de quelle manière !) face à des corridas très choisies, et dans des arènes sans responsabilité.
Ce ne sont que cinq exemples, mais le toreo actuel est rempli de cas comme ceux-là. Et de tout ceci on peut tirer deux conclusions et une cause.
Les premières : en général, les corridas sont ennuyeuses et la conséquence en est que le public abandonne les arènes.
La féria de Bilbao a été un désert ; en présence des vedettes les plus reconnues et avec les toros les plus commerciaux, les places invendues se sont accumulées aux guichets.
Le même phénomène s’est produit à la récente féria d’Almería.
Madrid est une douleur chaque après-midi, et c’est ainsi dans tous les cycles taurins qui sont célébrés dans ce pays. Le véritable évènement, c’est lorsque une arène se remplit.
Et le plus curieux, -et aussi le plus préoccupant- est qu’il ne se passe rien. Personne ne semble concerné. Il est démontré que les figuras n’intéressent pas, mais on continue le même cirque. Les impresarios échouent, mais ici ils continuent. Le toro est en train de disparaitre, mais peu importe.
Que se passe-il alors ? (La cause). Il se passe que le toreo est un mafia, un groupe organisé pour la défense de ses intérêts sans trop de scrupules, qui agit en marge de ses clients qu’il trompe et qui sont déçus course après course.
C’est la raison pour laquelle les gens ne vont plus aux arènes, car ils sont fatigués de ces mensonges et de cet ennui.
Un mafia fermée à double tour qui empêche la nécessaire révolution et l’arrivée de nouveaux toreros.
Et lorsque l’un parvient à entrer car il est considéré comme bénéfique pour le système, il devient le pire ennemi de ses compagnons aspirants.
Pour cette raison, entre autre, il est si difficile pour les jeunes de triompher.
Devenir figura est plus difficile que devenir Pape à Rome, et le sujet se complique si le système y met des obstacles et étouffe les rêves de ceux qui arrivent.
En deux mots : le business est pour quatre, et ils veillent à ce que n’augmente pas le nombre de ceux qui se répartissent les bénéfices. Pour cette raison les affiches sont toujours les mêmes, que ça intéresse ou non les publics.
En outre, le secteur taurin ne connait pas la concurrence au sens commercial du terme. Il n’existe pas de régulation du marché qui promeut la «concurence juste» entre les toreros et les oblige à un effort pour obtenir un plus grand nombre de clients.
Le toreo est un monopole de quatre figuras et quatre organisateurs qui imposent toros et toreros. Ils abusent de leur position dominante et offrent à leurs clients un produit, qui, c’est démontré, n’intéresse que ceux qui en bénéficient.
Si le toreo était quelque chose de sérieux, on ne permettrait pas à José Tomás de s’annoncer dans des arènes de seconde avec des petits toros d’aimable condition, de la même manière que le Real Madrid ne joue pas contre le Alcantarilla C.F.
Pour tout ça, -et pour de fortes raisons politiques et animalistes-, la fiesta des toros disparaitra plus vite que tard. Mais cela n’arrivera pas par imposition de ceux qui dirigent, mais par la lassitude de ceux qui payent.
Et tout ça arrivera avec la coopération nécessaire de quelques journalistes -je nous y inclue tous- affairés à protéger et préserver la fête des toros, et par conséquent occulter ses pêchés.
Le journalisme, le critique Alfonso Navalón l’avait dit, «ne doit pas s’ériger en publiciste du système», ni en serviteur des toreros, organisateurs, éleveurs, ni en porte coton de ceux-ci.
Le journaliste doit chercher la vérité et la raconter. Pas plus.
Devrions-nous supporter des cartels anodins, des toros faiblards, les vedettes protégées et insipides et les absurdités et profondes injustices du monde des toros s’il existait une classe de journalistes engagés et exigeants avec la fiesta ?
Très vite, la fête des toros sera un souvenir, et ils seront nombreux ceux qui, alors, se lamenteront de sa disparition.
Peu sans doute se souviendront des très graves dommages infligés par la mafia du toreo, par ce groupe de taurins réduit, compact, rance, vieux, immobiliste, et égoïste qui se réparti les miettes d’un commerce condamné à mort par eux-même.
Peut-être alors, López Simón regrettera son opposition à proposer une opportunité à un compagnon ; peut-être Hermosa de Mendoza se souviendra de Ventura ; peut-être, Ponce considérera qu’une retraite à temps est une victoire et beaucoup de postes libres pour les jeunes ; peut-être, El Juli comprendra alors que l’on ne peut pas combattre des agneaux toutes les après-midi ; et quelques organisateurs comprendront, enfin, pourquoi ils vendent chaque fois moins de places. Peut-être, José Tomás aura des remords de ne pas avoir exercé le leadership pour lequel il était né, et pour avoir utilisé sa légende pour gagner de l’argent facilement dans des circonstances sans exigences.
Peut-être, alors, ce journaliste devra se confesser de ne pas avoir été plus responsable et engagé. Mais il n’y aura plus de solution.
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