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Apés

ape2007-2À l’âge de 99 ans vient de décéder le ganadero charro Antonio Pérez Tabernero de San Fernando, fils d’Antonio Pérez Tabernero Sanchón de San Fernando, ce dernier frère de Graciliano, Argimiro et Alipio Pérez Tabernero Sanchón dont l’ultime fils en vie a fait ses adieux il y a maintenant une semaine.
Sûr que les jeunes aficionados ne connaissent que très peu ce surnom pourtant mythique de « Apés» ; jeunes et moins jeunes d’ailleurs tant cela fait des années, des lustres, des décennies qu’il n’est pas sorti un Apé dans le coin, ni à l’ouest ni à l’est.
Des Apés, il peut s’en croiser quelques-uns en se rendant chez Juan Luis Fraile à Robliza de Cojos. La finca d’Antonio Pérez Tabernero se fait traverser par l’étroite route qui vient de Matilla de los Caños del Río et quelques orphelins de leur grande histoire viennent vous observer en mugissant de loin puis en foutant le camp au pas de course.

L’élevage d’Antonio Pérez de San Fernando (père puis fils), s’il ne sort plus aujourd’hui, n’en demeure pas moins un marqueur non dénué d’intérêt de l’évolution des tendances ganaderas du XX° siècle.

En 1911, deux ans après la mort de leur père, les quatre frères Pérez Tabernero Sanchón prennent leur envol, chacun de leur côté, même si Graciliano, Argimiro et Alipio choisissent finalement (après des années d’incertitudes pour certains d’entre eux) le même sang brave pour remplacer les Miura/Veragua de papa : ce sera du Santa Coloma. Antonio, lui, non, qui se tourne sans hésitation vers du Murube acheté le 5 mai 1911 au portugais Luis da Gama — ne pas confondre avec Faustino da Gama resté fidèle, en ces années de Belle époque, à l’empire alors décadent du Veragua. Santa Coloma et Murube étaient la modernité du moment mais Murube encore plus et encore encore plus quand il le badigeonna de Parladé entre 1916 et 1921 par l’intromission de Gamero Cívico et de Támaron qui achevèrent de faire entrer son élevage dans le siècle. À partir de là, le « toro est une oeuvre humaine » et Antonio Pérez Tabernero — comme son fils qui vient de décéder — n’eut de cesse de fabriquer un collaborateur idéal plutôt qu’un féroce soldat de la bravoure, solution vers laquelle se tournait dans ces années-là un Conde de la Corte par exemple. Si tous les reportages camperos des années quarante, cinquante, soixante mettent en exergue la caballería du père et du fils, leur attachement aux choses simples et « vraies » de la vie de campo, aucun n’arrive à dissimuler, malgré les amitiés ou les compromissions journalistiques, le dramatique virage opéré par les Apés tout entiers consacrés à la réussite des figuras. Antonio Pérez de San Fernando (père) le dit lui-même en 1961, au crépuscule d’une longue vie de ganadero : « el toro tiene que ser noble, parque est nobleza le es imprescindible. En la outra, la del nervio y temperamento, el toro se face resabiado, de más sentido durante la lidia y este sentido es el que yo creo que hace que el animal se defienda y perjudique al torero. »1
Les figuras et les autres adorèrent les Apés. Il s’en lidiait par toute l’Espagne autant qu’il se consommait de litres d’huile d’olive. La morphologie des Apés épousait parfaitement les discours du ganadero : rien d’impressionnant, rien de fort, rien de très armé non plus. Citons, pour la bonne bouche, ces paroles du Tío Pepe qui évoque une corrida houleuse, celle du 19 juillet 1931 à Barcelone « où le public entra dans une colère telle qu’il mit le feu à la loge présidentielle, manifestation qui fut à deux doigts de tourner à l’émeute et nécessita l’intervention massive et brutale de la Garde Civile, tout cela parce que les toros d’Argimiro Pérez Tabernero, ainsi que ceux d’Antonio Pérez et d’Angoso qui sortirent des chiqueros, parés de péripéties inénarrables, étaient ridiculement jeunes et insignifiants; les deux matadors, Vicente Barrera et Domingo Ortega, responsables directs ou indirects, passèrent ce jour-là leur après-midi dans les transes ! »2
S’il ne fut pas le premier à courber l’échine face aux exigences des figuras, Antonio Pérez Tabernero — son fils après lui — annonçait pourtant une évolution inéluctable du toreo : le règne du toro con. Ce règne que l’on connaît aujourd’hui par l’entremise d’autres élevages du campo Charro comme Garcigrande ou Domingo Hernández — malheureusement il n’y a pas qu’eux. Là, on ne fabrique plus seulement un toro pour les figuras, on les laisse aujourd’hui faire la sélection. Dans les petites phrases qui pimentent un voyage au campo, il n’est pas rare d’entendre que le mayoral de Garcigrande se prénomme El Juli…
Les Apés ont disparu (ou presque), les figuras sont passées à autre chose de plus insignifiant encore, le public ne fout plus le feu aux loges présidentielles… RIP.


  1. Revue El Ruedo, 1961.
  2. Darracq, (Jean-Pierre) ‘Tío Pepe’, Les tertulias de Tío Pepe, éditions Cairn, Pau, 2009.
  1. António Da Veiga Teixeira Répondre
    Bonjour,Luis Gama était le pére de Faustino Gama

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