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I love to speak with Leonard

weegee_1937_summer_on_the_lower_east_sideHe’s a sportsman and a Shepherd 

He’s a lazy bastard living in a suit…

La mort de Leonard Cohen plonge ses fans, les médias et les réseaux sociaux dans un émoi que le goût moderne et frustré pour la communion explique sans mal. 82 ans constituent un bel âge pour un amateur d’acides aussi légèrement porté sur l’alcool et la dépression que moi sur l’euphémisme. Bossant jusqu’au dernier moment, il « part » sans emporter les disques avec lui, ce dont longtemps nous lui saurons gré. Cela étant dit, ça vous fiche un sacré coup quand comme moi, vous bassinez votre monde depuis des lustres avec l’oeuvre du discret Canadien : le nombre de messages reçus aujourd’hui en témoigne : j’ai oeuvré !

Les nécros sont usées jusqu’à la corde : l’on y a abondamment pioché ces derniers mois pour illustrer les articles autour de la mort de Marianne Ilhen et la sortie de « You want it darker » en octobre. Cependant, à force de naviguer de liens en liens, l’on apprend encore quelques petites choses que l’on ignorait jusqu’alors. Submergé par la joie inattendue (on ne bénira jamais assez sa gestionnaire de l’avoir laissé sur la paille en partant avec la caisse) de le voir sur scène en 2008, je me souviens avoir pondu un article probablement maladroit comparant le retour du Canadien à ceux des toreros rappelant banderilleros et picadors pour reprendre l’épée comme d’autres le micro. Le parallèle semblait bancal mais à la lecture du Guardian du jour, je m’aperçois que j’avais visé assez juste finalement : “Tours are like bullfighting,” he told Rolling Stone. “They are a test of character every night.” J’avais eu beau croiser Cohen au détour de nombreuses références culturelles, je désespérais de l’imaginer avoir eu un quelconque atome d’intérêt pour la tauromachie. Admettons, qu’en terme d’intérêt, la citation franchit à peine le stade de la molécule, mais cela ira bien.

S’il fut beaucoup discuté de la possibilité du Nobel de littérature à Cohen (qui lui, a écrit des bouquins, avec des pages et des mots dessus) plutôt qu’à Dylan dans un débat sans beaucoup d’intérêt, Leonard Cohen a reçu le prix Prince des Asturies en 2011 dans la catégorie « Littérature » (avant Philip Roth en 2012 mais après Dylan, lauréat en catégorie « Arts » en 2008). A cette occasion, Cohen prononça un discours rendant hommage à la culture espagnole aux mamelles de laquelle il devait, dit-il, d’avoir nourri ses modestes capacités : Garcia Lorca lui avait permis de trouver en écriture une voix et un moi que la lecture des poètes anglophones ne lui avaient jamais permis de découvrir et un jeune guitariste de flamenco lui avait enseigné en trois leçons six accords de guitare avant de se suicider. Cette personnalité, cette voix et ces six accords constituaient d’après lui le matériau et la technique de tout ce qui avait suivi.

Avant même de goûter sans modération la chance inespérée de le voir sur scène, je rencontrais Cohen à droite à gauche dans mes jeunes années. J’ai dû le découvrir à l’écoute d’une des nombreuses reprises de « Suzanne » par FMT feat. Camilla en 1992, mon père me remettant immédiatement sur les rails en allant chercher les vinyles originaux. Pour l’anecdote, le site de référence sur Leonard Cohen dénombre 3100 reprises de ses chansons à travers le monde en différentes langues… Ainsi, je me souviens de l’émotion de trouver en 1996 dans la maison de Garcia Lorca à Fuentevaqueros une photo de lui par Dominique Issermann (issue du livret de I’m your man), comparable à celle de mon père de nous faire dormir en 1989 à la Cité Universitaire de Madrid dans un bâtiment pourri mais ayant abrité en son temps le poète de Grenade. Dans le même ordre d’idée, la lecture des poèmes de Cavafis par l’intermédiaire d’un collègue grec me permit d’identifier la source d’inspiration de « Alexandra Leaving » et hier encore à Paris Photo, tomber dans une galerie sur un tirage de la photo de Weegee choisie par les Inrocks pour illustrer le disque d’hommages de 1991 « I’m your Fan » me causa une joie singulière et contemplative (11.000 euros le tirage).

Leonard Cohen avait, malgré ses accointances avec l’Espagne, probablement peu d’intérêt pour la chose taurine, mais sa façon de toréer détachement sa tendance dépressive comme ses échecs prenait une allure picaresque, de Luis Francisco Espla aux belles heures dans l’humour des textes et de torero dans l’élégance. A l’égal des rares moments taurins qui vous transcendent et vous emportent sur une vague de félicité des jours durant, les concerts de Cohen vous cueillaient pendant trois heures et vous laissaient flotter dans un sentiment de grâce longtemps après (« long after I’m gone »). La plupart des chansons de Cohen assument leur mélancolie avec cette grâce singulière qui leur interdit la tristesse et « donnent la distance ». Je me souviens avoir écrit un jour que les droits en étaient libres pour draguer les filles. Je persiste et signe.
So long…

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