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Mort d’un dandy

Plutôt que se répandre en banalités sur la disparition de Jean Lafont, autant profiter ici du texte de Jacques Durand, publié dans sa lettre éditée par Atelier BAIE.

Le manadier Jean Lafont, 94 ans, est décédé vendredi 13 janvier à Nîmes. Sans, comme il disait le désirer, battre le record de longévité de Jeanne Calment. Mourir un vendredi 13 est une idée de dandy. Ce qu’il fut. C’était un homme au parler laconique dans un pays où la vocifération est de mise et c’était un homme éclectique dans une société où la standardisation est la norme. Il pouvait se rendre à la Fenice à Venise pour assister à un opéra italien de Verdi ou de Donizetti et certains ont cru le voir aussi taper la belote au café du Cailar, Gard. Ce qui ne serait pas étonnant. Il pouvait, avec son gardian Julot Lopez et Ginette épouse de Julot, se rendre à Paris dans la 2 CV de son employé ancien razeteur et on pouvait le croiser le lendemain dans la Rolls Royce de Bernard Buffet. Il pouvait galoper avec ses taureaux sur les boulevards de Nîmes en fête ou dans son mas avec Alain Delon jeune. Il pouvait se faire tutoyer par les membres du club taurin de Vauvert et boire le coup avec Eddie Constantine ou Antonio Ordoñez ou la vicomtesse de Noailles. Il pouvait filer à Salzbourg et rencontrer Von Karajan et inviter la fanfare déglinguée des Bidochons à jouer « Ce n’est qu’un au revoir » à l’inauguration de sa tombe réalisée, devant chez lui, par le plasticien Jean-Michel Othoniel et où il a savouré le privilège rare d’écouter son oraison funèbre de son vivant. Il s’est fait incinérer. Ses cendres y reposeront.
Déjà il avait eu la bizarrerie de naître à Saigon d’une mère russe pour,par la suite, devenir “Le roi de la Camargue” comme l’appelait Carole Bouquet.
C’était un homme singulier qui avait des goûts pluriels et échappait aux conventions bourgeoises. Il avait un phrasé inimitable et laissait tomber de son quant-à-soi des remarques lapidaires dont l’humour, aussi glacé que la température du jour de son incinération, laissait sur le cul. Il aimait entre autres les livres, Mozart, l’opéra surtout italien, les arbres – il était membre de la très sérieuse Dendrologie Society –, les beaux objets, le surréalisme, l’inspecteur Derrick, la botanique, la vitesse – il a participé au Rallye de Monte Carlo –, la vie raffinée, faire la cuisine, le club de foot de Nîmes Olympique, la corrida – il fut un des premiers à croire en Christian Montcouquiol Nimeño II – les chattes tricolores dont les photographies émaillent ses scrapbooks où l’on trouve aussi ce petit mot de la romancière Violette Leduc invitée dans son mas du Cailar : «j’apprécie les présences légères, c’était la vôtre ». On l’a vu en une de France Soir devant sa voiture Zim que César compressera, on l’a vu poser aux côtés de Jackie Kennedy, faire, après une bandido qu’il avait menée tout seul, un tour triomphal des boulevards de Marsillargues dans un 2 CV décapotée, on l’a vu se recueillir sur la tombe de son cocardier Cosaque aux cotés d’un ami de sa manade qui voulait qu’à sa mort on l’enterre à côté de ce fameux biou. Ses taureaux de course camarguaise remplissaient les arènes. Il pouvait leur donner des noms de troubadour occitan, Ventadour, de chevalier de la table ronde, Perceval, de figure biblique, Moise, de sultan ottoman et de tragédie de Racine, Bajazet, de héros mistralien, Ourrias, ou shakespearien, Macbeth, d’écrivain de la renaissance, Brantôme, d’historiographe médiéval, Joinville, et il pouvait aussi bien les baptiser de noms provençaux qui sentaient l’aïoli qu’il montait de main de maître : Patarasso, Déguenillé, Cailaren, du Cailar, Barraïe, Tonnelier, Badaïre, Pleurnicheur. Ses vaches pouvaient s’appeler Célimène, Desdémone ou Aliénor, la mère de Joinville. Dans les années soixante il avait créé près d’Aigues-Mortes La Churaskaïa une boite de nuit qui a fait plus pour la libéralisation des moeurs locales que «Do It » de Jerry Rubin et que le Living Théâtre. Bien avant que le slogan s’affiche sur les murs de mai 68 et de la Sorbonne le « jouir sans entraves » y était à l’ordre du jour de ses nuits blanches. Il arrivait qu’on y écrase les pieds d’Éric de Rothschild et du «Gari » viticulteur sur la costière du Gard. Cet homme étonnant est donc parti encendres, comme le cigare que lui avait, un jour, offert Fidel Castro.

Jacques Durand.

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  1. pierre brumberg Répondre
    Bella Vita
  2. pierre brumberg Répondre
    UN VRAI DANDY TRÈS BRANCHÉ CE LAFONT À FOND LES MANETTES ET LES BANDERILLES

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