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Chapons dégraissés

Ganadería Arriazu (Casta Navarra) / Ablitas (Navarre).


Il était toujours déposé parfaitement au centre de la table, convoité par les commentaires, les yeux, les estomacs pourtant déjà maltraités par la soupe de tapioca et les cinq ou six entrées qui feraient rendre le tablier dans la seconde au nutritionniste le plus dilettante. Souverain, ruisselant et doré comme il sied à un roi. A ses côtés, humble mais indispensable serviteur, un ramequin de porcelaine de Limoges, ouvert des deux côtés, contenait le jus royal, promesse de saveurs onctueuses à condition « d’aller au fond », c’est-à-dire d’amalgamer en trois coups de cuillères d’argent le gras sirupeux avec le nectar sombre endormi au tréfonds. C’était le chapon fin de Noël, si fin qu’il pesait trois poules ou deux rôtis et qu’un de ses cuissots aurait pu servir de guéridon et supporter le poids d’une statue de plomb.

Le chapon est un coq que l’homme a délesté, jeune, de ses attributs mâles lui offrant, pour le coup, une vie de paria parmi les siens. C’est ce que raconte Joseph de Pesquidoux dans son chant d’amour à la Gascogne, dans son Chez nous* : « parmi tant de vie, d’amour et de joie, le chapon erre seul. Émasculé, chargé de chairs succulentes qui le font tuer de bonne heure, honni par les coqs, méprisé des poules, il paraît ressentir l’amertume de son destin de bête à part, bonne seulement pour l’engrais ».

De l’autre côté des Pyrénées, finalement pas si loin de chez nous, la famille Arriazu élève d’autres chapons au pied du Moncayo qui ressemble à une paire de couilles aplaties, ironie du sort. Chez Arriazu, à Ablitas, les chapons sont traduits en espagnol et cela donne : capones. Toros capones même ! Oxymores quadrupètes roux proches du toro de lidia mais surtout de la vache de la même race. Soulagés de leurs « huevos » assez jeunes, leur croissance les pousse vers une morphologie un rien famélique : le corps gagne en hauteur, s’affine, le morrilllo se dissipe, s’érode et les cornes poussent comme des arbres de la canopée dans la forêt équatoriale.

Les jeux taurins faisant feu de tout bois, les toros capones ont leur public et leurs aficionados et la famille Arriazu, qui détient un des sangs navarrais les plus intéressants, se pose en leader du marché. Ici, aux confins de la Navarre, les Arriazu choient environ soixante-dix capones qui seront lâchés dans les rues ou dans des jeux divers dans la région et jusque dans le Levante. Dégraissés, efféminés parfois, les capones conservent l’agressivité de leur sang originel « pero menos » d’après l’éleveur qui va les voir se battre partout où ils sont demandés. Florent Lucas, qui en connaît un rayon sur le sujet des toros dans les rues, confirme  » qu’ils sont plus ou moins encastés selon les individus. Mais ce ne sont pas des mansos. Ils deviennent avacados mais avec de l’agressivité  » et d’ajouter, parce qu’il aime être précis,  » en Navarre, c’est une pratique très répandue de castrer les toros car ils n’ont pas le droit de répéter les toros entiers dans les festejos populares « .

Comme pour le bestiau de Noël, le chapon navarrais des Arriazu, s’il s’en trouve allégé, n’en perd pas pour autant tout son jus…


  • De Pesquidoux (Joseph). Chez nous, 1921.
  1. Florent Lucas Répondre
    Afin d'être tout à fait précis sur le sujet, le règlement taurin en vigueur de la communauté de Navarre impose que les mâles exhibés lors des festejos populares soient castrés à partir de leur troisième année. Il est néanmoins possible de faire sortir des toros "entiers" lors des fêtes populaires à la condition d´obtenir une permission spéciale de la part de l´autorité compétente. Ces toros pourront également répéter les apparitions chaque fois qu'une nouvelle permission sera accordée.
  2. Anne-Marie Répondre
    Pour mettre tout le monde d'accord : à Noël prochain, allons voir Ferdinand, le nouveau gentil taureau de Pixar !

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