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Me cago en dios

Ganadería Pincha (Gerardo Ortega/Marques de Domecq) / Lodosa (Navarre)


Chaque idiome porte en lui son bouquet fleuri d’expressions dont la vulgarité le dispute souvent à un imaginaire débridé .

Exemple : When the shit hits the fan, qui, littéralement, pourrait donner un quand la merde percute un ventilateur particulièrement bienheureux pour annoncer la venue brusque et soudaine d’un orage noir d’emmerdes en tout genre. Passons sur le décevant et facile fuck you ou sur l’obscur fucking asshole. Si l’on s’y attarde un peu et le net n’est pas avare de centaines de pages propices à faire se passionner pour les langues étrangères nos innocentes progénitures, ces expressions ont souvent à voir avec la mère ou plus généralement la femme. Qu’on la nique (la mère), qu’on la traite de you bitch (de la mère à la soeur en passant par la cousine) ou qu’on lui reproche d’avoir mis bas (la mère en l’occurence), la référence féminine n’est jamais loin. Le tu puta madre fait écho au classieux et très courant la puta madre que le pario. Dans cette affaire, dieu n’est pas en reste… manquerait plus que ça. Nom de dieu, goddam, bloody hell sont autant d’éructations polyglottes qui disent l’imprégnation du bonhomme et de son univers dans les mentalités, même en ce début de nouveau millénaire où dieu se révèle particulièrement susceptible et chafouin. Mais, reconnaissons-le, on atteint au sublime, au poétique, au céleste même quand la référence divine contenue dans l’expression vulgaire est bariolée sans vergogne, dans la brusquerie d’un coup de langue et d’un son rauque, au détour d’une phrase, par un vocabulaire excrémentiel qui renvoie l’âme humaine à son essence carnée, damnée et désespérement biologique.

Exemple : me cago en dios, qui, traduit mot à mot, accouche d’un je chie sur dieu… ce qui n’est pas bien, surtout durant le semaine sainte. Comme dieu est partout, l’on n’ose imaginer le résultat final d’une telle entreprise. Ramené à une traduction plus exigeante, ce cago en dios vaudrait notre bordel de merde voire notre gentillet nom de dieu mais pas tout-à-fait. Le cago en dios dont il existe moult variantes – me cago en diez, me cago en la hostia ou la succulente me cago en la oscuridad puta – traduit une forme de léger désappointement exprimé à haute voix, craché plus qu’articulé, jeté en patûre à l’ouïe sensible.

A 10 heures du matin, c’était l’heure de notre rendez-vous, José Antonio Baïgorri, propriétaire de l’élevage navarrais de Pincha (Lodosa), était en retard. Homme serviable et fort sympathique, hôte adorable, il avait confié le soin de notre accueil à son mayoral, trentenaire du coin, pipelette mal rasée, intarissable sur les toros, évidemment, mais pas que, loin de là. – « Ola ! Bienvenidos ! Me cago en dios ! José Antonio tiene retraso. Me cago en dios !« 

La ganadería de Pincha est installée au sud de Lodosa, le long d’un canal qui rejoint l’Ebre à l’entrée de la cité. Les terres sont plates et sèches, la poussière fait vite sa belle si l’on n’y prend pas garde. Sur la hauteur (toute relative) passent des trains blancs, aux alentours des travailleurs mal rasés, peau tanée par le soleil, ramassent des asperges ou des carottes ou des choux. Au coin d’une parcelle gît ce qu’il reste d’une cigogne. L’eau suinte d’un gros goutte à goutte dans un fossé que débouche et nettoie un vieux solide du coin, qui dit bonjour sans un regard, parce qu’il est là et qu’on dit bonjour quand on croise quelqu’un.

Les vaches d’origine Marques de Domecq protègent leur petit et tournent autour d’un semental de même sang, l’avenir d’un élevage construit originellement avec des bêtes de chez Gerardo Ortega (Salvador Domecq/Marques de Domecq/Luis Algarra/Los Guateles).

–  » Comment il s’appelle le semental ? »

– « Puesss… pffff… me cago en dios… me cago en dios... »

Dans la 405 Peugeot qui fait office de 4×4 comme en témoigne le pare-choc avant porté disparu, le mayoral nous confie être un ami de la famille Domecq. Il part en vacances chez eux d’ailleurs. Il aimerait bien venir en France aussi, pour lidier une novillada et pour les filles. Il a un ami français qui lui envoie des photos sur son portable.

–  » Mira ! Me cago en dios ! Mira !« 

La photo ne laisse aucune place au doute : la jeune fille sur l’écran doit participer à un quelconque stupide concours de record. En l’occurence, on la voit tenter de faire entrer dans sa bouche un corps caverneux raide et noueux dont les dimensions en longueur et en largeur supporteraient sans souci la comparaison avec celles d’un cucubirtacée élevé à l’EPO et au pot belge. Aucun doute non plus sur les chances de la dame de gagner le concours…

–  » Mira ! Me cago en dios. Bonita no ? !!!! Me cago en dios « 

Si la photo lui plaît a priori, il préfèrerait que son ami français lui balance plutôt le numéro de téléphone d’une française. C’est ce qu’il nous confie en observant un autre lot de vaches.

– « Et celui-là ? Ce semental, c’est quoi son nom ? »

Le reproducteur en question est un Pincha récemment approuvé. Noir, joiment fait.

–  » Es que… me cago en dios… fue buenissimo ! Pfff… como se llama ? Pfff… me cago en dios…« 

Devant le modeste bâtiment blanc d’où surgit une arrogante cheminée noire, notre guide nous recommande de venir l’été. Il y a des vaches et des toros partout dans ce coin l’été. Il y a des filles aussi et ça lui cago en dios ça aussi. José Antonio nous a rejoint. Il est blessé à l’épaule. Une chute de cheval. Rien de grave. Il veut nous montrer la camada de novillos. Ils n’iront pas finalement à Pamplona. L’an prochain il paraît. José Antonio semble ne pas savoir s’il faut y croire ou pas. Le milieu peut être cruel. Ça il le sait. En ouvrant le cercado des novillos, José Antonio nous confirme qu’ils portent tous des fundas. Il trouve ça bien pour protéger les cornes. Personne ne répond rien et chacun rumine son désappointement. Chacun l’a sur le bout de la langue, sur le point de le cracher, de le hurler à la poussière : « Me cago en dios ! »

Nota : les novillos portant tous des fundas, ils n’apparaissent pas dans la galerie.

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