Deux jours à Madrid (et encore…) livrée aux touristes par ses habitants profitant d’un aqueduc : week-end, premier et deux mai : les Madrilènes ne reconnaîtront jamais les bienfaits indirects de l’aimable protection napoléonienne… Las Ventas s’échauffe pour le grand mois de San Isidro avec la feria de la Comunidad : deux novilladas et une corrida Goyesque. De la novillada du 30 avril (Novillos de Sanchez Herrero), les maigres échos font état d’une lidia désastreuse avant tout. Le 1er mai, après 7 ans d’absence, un lot de Dolores Aguirre revenait fouler le sable de la capitale. Face aux novillos de Constantina, trois novilleros totalisant 21 apparitions à eux trois l’an dernier dont Miguel Maestro, dans sa 33eme année et sa 16eme à fréquenter les picadors (deux novilladas l’an dernier, à Madrid uniquement). Suivaient Javier Marin et Fernando Flores dont je crains d’oublier également les noms dans un futur proche. Le lot semblait jeune et léger dans l’ensemble, plusieurs exemplaires furent protestés à leur sortie en piste pour manque de trapio. A noter la présence d’un Melocotón en quatrième position, robe plutôt rare dans la maison Aguirre. La novillada fut a menos, deux toros permettant le triomphe parmi les trois premiers et trois toros plus faibles et affreusement piqués ensuite. Le dernier, plus râblé et lourd que ses frères (Malagueño, le seul passant la demie-tonne 502 kg) paraissait plus typé La Corte. Atanasio, les 1 (Clavetuerto II numéro 33 467 kg 03/2014) et 3 (Tosquetito numéro 14 471 kg 01/2014) l’étaient dans leur comportement : abantos aux deux premiers tiers, mais offrant de grandes possibilités dans la muleta ensuite, notamment le 3 planant tout seul sous la baguette pas dénuée d’allure de Fernando Flores. Malheureusement, les deux novilleros ne surent profiter de l’aubaine et la pétition quasi majoritaire de la faible assistance au 3 ne sut masquer le constat d’échec. Le decrescendo lors de la deuxième partie de la novillada laissa une impression négative à l’après-midi à tous points de vue.
Dans l’éventail des corridas un peu spéciales de la temporada madrilène, celle du 2 mai est à la mode Goyesque et le public autorisé à fouler la piste pendant le défilé de calèches précédant la corrida. Il ne s’en prive pas, occasionnant un placide envahissement suffisamment ordonné pour permettre aux attelages de tourner le long des tercios. Une fois le ruedo évacué, les gradins ne se garnirent qu’au quart de leur capacité (version optimiste), la demi-finale aller de Ligue des Champions entre les deux clubs de Madrid laissant planer le spectre d’une fin de corrida devant une assistance famélique. Débattant avec Bego des raisons expliquant la moindre afición de nombre d’amis pour les toros, nous eûmes la triste confirmation en piste que l’état actuel de la cabaña brava n’aidait guère à l’entretien de la flamme et que j’étais incapable de juger du physique d’un toro lors de son enchiqueramiento aux corrales. Les six toros de Salvador Domecq (1 et 2), José Vazquez (3 et 4) et Victoriano del Rio (5 et 6) offrirent un nuancier lamentable de présentation indigne de Madrid, de mansedumbre et d’absence de caste à divers degrés (« este Toro es más manso que un hombre casado ! » s’emporta mon voisin du 7 lors de la Lidia du 4). Les Salvador Domecq, parfaitement invalides, emportant la palme du pire échantillon. Les José Vazquez, faibles, cachaient leur corps malingres derrière leurs cornes et leur manque criant de caste derrière une certaine mobilité. Le premier Victoriano del Rio, manso décasté, aux intentions peu claires acheva de précipiter un Diego Urdiales déjà perplexe dans un abime de détresse en fin de combat, son petit frère fermant la course fut le seul à donner quelques signes de caste poussant le picador jusqu’à la barrière.
Tordant le cou à l’argument du manque actuel de toreros intéressants comme explication possible à la désertion des arènes, le cartel madrilène du jour annonçait deux toreros qui à défaut d’être des vedettes de premier rang suscitent un légitime intérêt chez les aficionados par leurs bonnes manières en piste et le classicisme de leur toreo. Diego Urdiales et Paco Ureña proposaient une alternative valable au gros cartel sevillan du jour : Morante, Perera, Javier Jimenez.
Urdiales, habit Goyesque bleu nuit et fil blanc dessinant grappes et feuilles de vigne en hommage à sa région d’origine, chemise ouverte et sans cravate, confirma en trois toros ce que j’avais perçu de lui la saison dernière : capote soyeux, torerissime dans l’arène, conception classique du toreo en butte avec un certain délai pour prendre la mesure du toro, beaucoup d’accrocs dans la muleta dès qu’un toro secoue la tête et une tendance à s’effilocher lorsque les circonstances lui sont contraires. Le 1er, invalide, donna des coups de tête et accrocha sans cesse sa muleta, le 3, mobile mais décasté, permit d’entrevoir le meilleur toreo riojano du jour malgré la sale habitude du toro à changer d’axe ne facilitant pas le placement du torero, son « croisement » ni la liaison des passes. Il fallut trois séries à droite sans peine ni gloire à Diego pour trouver la meilleure corne gauche et permettre une faena de passes isolées dans des séries décousues (la faute au toro) mais ponctuée par des trincheras et des aidées par le bas en tout genre torerissimes dont la vertu de châtiment auraient sans doute pris tout son sens en début de faena pour tenter de régler les défauts de ce toro désordonné. Les intentions imprévisibles et le guichet à passer empêchèrent Urdiales de franchir la corne et de tuer, l’oreille l’attendait au bout de l’estocade. Le 5, aux idées tout aussi douteuses, acheva de déprimer le torero d’Arnedo à qui il fit visiter le périmètre de la piste quand vint l’heure de monter l’épée.
Paco Ureña, habit Goyesque rose pâle et discrètes broderies azabache, venait confirmer son statut de gardien du temple et garant des concepts du toreo puro. Il eut le bon goût d’expédier le 2, invalide, sous les hurlements du public hurlant à l’arnaque et invectivant la présidence coupable de ne pas avoir brandi le mouchoir vert, puis de s’entêter à tenter d’exploiter la mobilité mansa et décastée du 4 au prix d’un premier arrimon, interdisant toute sortie au fuyard en se croisant et citant de face, il ravit le 7 en donnant des passes dans les canons les plus orthodoxes de la liturgie taurine sans toutefois que le toro de José Vázquez daigne entrer dans son jeu, passant tout droit dans la muleta sans suivre le tracé curviligne imprimé par le torero. Le Rosco, non loin, s’enthousiasmait : « no puede ser toreo más puro ! » À la nuance près à mon sens que le torero ne parvenait pas à convaincre son insupportable adversaire d’entrer dans la danse qui prenait la muleta comme d’autres passent une porte.
Alors que sortait le 6 et que le bétail achevait de nous les briser menu, survint une éclaircie quand le toro poussa le picador jusqu’aux planches. La place réclama à grands cris un tercio de varas en bonne et due forme avec mise en suerte de loin mais le toro retourna au cheval pour une deuxième rencontre avant même d’avoir été tiré des tercios et le matador demanda le changement. Ureña face à un toro mobile lui aussi mais fuyard exposa son corps et pour le dire sans détour son cœur et ses couilles (« carrées » aux dires d’un voisin de tendido) à la merci d’un toro dangereux dans son comportement défensif, ses arrêts en milieu de passe et son rapide abandon du combat. « Curioso », de plus en plus court, rendit les armes, reculant en se couvrant jusqu’aux planches face à un Paco Ureña habité par sa quête de triomphe et marchant sur lui, la fémorale et le reste offerts aux imprévisibles réactions du toro. Ureña s’entêta à voler, dans les tablas, des passes isolées mais certaines extraordinaires de sincérité et d’exposition au mépris du danger sourd que faisait planer la mansedumbre du Victoriano. Une tauromachie âpre et pure, sans calcul ni effets de manche, où l’émotion naît d’un combat authentique en quête d’un toreo dépouillé, sincère et profond. L’entière engagée mais légèrement basse (3 doigts) permit au lunaire torero de Murcie de couper une oreille, de celles qui pèsent, dit-on et de justifier le voyage en Espagne.
6 novillos de Dolores Aguirre : Clavetuerto II (numéro 33 467 kg 03/14), Guindoso II (numéro 22 480 kg 12/13), Tosquetito (numéro 14 471 kg 01/14), Clavetuerto I (numéro 43 491 kg 02/14), Guindoso I (numéro 60 482 kg 12/13), Malagueño (numéro 56 502 kg 10/13) pour Miguel Maestro, Javier Marin et Fernando Flores
6 de Salvador Domecq, José Vázquez et Victoriano del Río : Edulcorado (numéro 44 525 kg 01/12), Pleamar (numéro 95 530 kg 11/11), Inesperado (numéro 115 530 kg 02/13), Ingenioso (numéro 117 515 kg 02/13), Regato (numero 82 520 kg 01/12), Curioso (numéro 4 534 kg 12/12) pour Diego Urdiales et Paco Ureña, Mano a Mano