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Pour qui aime…

Ganadería Fernando Palha (encaste propre) / Porto Alto (Ribatejo)


À Charlie…

À l’entrée de la maison neuve, une casquette campera est accrochée au porte-manteau. Seule. La lumière qui vient de la fenêtre l’éclaire. En cadrant pour la photographier, j’ai pensé qu’il manquait le chapeau de ala ancha. Qu’il y avait comme un vide trop grand à côté de la casquette. Que la photographie en serait déséquilibrée, comme si le vide à droite, écrasant, l’amputait de sa force. En cheminant dans le salon m’est revenu ce qu’écrivait Proust sur l’abscence dans Les Plaisirs et les jours : « L’absence n’est-elle pas, pour qui aime, la plus certaine, la plus efficace, la plus vivace, la plus indestructible, la plus fidèle des présences ? « 

Je ressens cela quand j’entre chez Charlie. Je fais la bise, ému, toujours. Mon champ de vision se remplit sans aucune maîtrise de tous les tableaux qu’il a peints. Je sais que la bibliothèque est à droite, là où l’on cuisinait autrefois, je sais que son bureau est au-dessus des marches bien cirées, je sais que ses Pyrénées sont à gauche… la fenêtre est fermée. Et puis je m’assieds dans le canapé. On parle. Le large fauteuil reste vide, vide de son sourire coquin, vide de son regard parfois mélancolique, vide de sa tête d’enfant qui portait fièrement le béret. Pour qui aime…

Duarte m’a dit que son esprit surtout manquait. A Vil Figueiras, à Areias aussi. La ganadería survit, portée par les doutes compréhensibles d’héritiers chargés de maintenir et de respecter l’oeuvre d’une vie, l’oeuvre d’un homme et d’un temps qui ne sont plus. Il faut sélectionner, il faut tienter, il faut sacrifier. En sortant de la quinta, un semental armé haut, ensellé, noir, s’ennuie des vaches et mate les chevaux dans le pré à côté.

Il me disait rapporte-moi des photos de toros dans des positions bizarres. Quand ils se grattent, quand ils se tendent en se levant. Tu vois ? Je photographiais en pensant à lui, à ce qu’il en ferait dans son bureau au-dessus des marches bien cirées. De là, il devinait les Pyrénées. Je photographiais en sa présence pour le dire autrement. C’est toujours le cas.

Bien installé dans son fauteuil, il prenait les clichés, les observait, souriait et commentait les postures, les allures, le trapío. Les pelages aussi. Forcément. Le Rodríguez Montesinos servait de bréviaire. Albardado, barroso

La première fois à Vil Figueiras, Fernando Palha avait coupé le moteur à quelques mètres d’un vieux semental blanc, tacheté de gris. Fernando le trouvait beau et fier. Le vieux mâle s’ébrouait dans la poussière, la gueule tendue vers nous qui ne semblions pas exister dans son univers. Charlie n’a jamais peint ce vieux semental. Il m’avait dit qu’il le ferait. Il adorait les quatre photographies de cette estampe. J’aurais voulu montrer le tableau à Fernando.

A Catapareiro, les vaches se cachent. Elles sont redevenues sauvages. La corne trône encore sur le tableau de bord. Personne ne s’en sert plus. Elles ont perdu l’habitude de l’entendre et d’y obéir donc. Elles foutent le camp, nous regardent de loin, protègent les petits et décampent au galop. De sous leurs sabots s’échappent les effluves de la nature en joie en ce printemps trop sec. Campé sur le pneu arrière du 4×4 de Fernando, je sens la nature, je la renifle, je l’inspire, elle inspire. Une berrenda en negro est figée et lève la tête avec défiance. Un jour, vers la fin de sa vie, Charlie m’avait offert un dessin de la forêt landaise. C’était un chemin blanc qui se perdait dans le magma de pins. J’adorais ses dessins de la forêt des Landes. Il m’avait dit tu sais j’ai toujours rêvé de mettre des toros sous les pins.

Dans les yeux de cette duchesse défiante, sous les pins maritimes des bords du Tage, sur les chemins sablonneux de la Leziria, j’ai contemplé l’utime tableau de Charlie créé par Fernando. Présences…

  1. Anne-Marie Répondre
    Et qui ne pourrait pas aimer le vieux lion, la duchesse, et le livre de Laurent ?

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