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Emaús

Ganadería Canas Vigouroux (Pinto Barreiros et Veragua par Trespalacios menés séparément) / Vila Franca de Xira (Ribatejo)


Si l’on en croit la Bible, et il en est qui y croient, existait à « soixante stades » de Jérusalem le lieu dit d’Emmaüs où « deux disciples s’entretenaient de tout ce qui s’était passé. Pendant qu’ils parlaient et discutaient, Jésus s’approcha et fit route avec eux »1 ce qui ne manque pas de cocasserie car c’est de lui, Jésus, qu’ils palabraient, ceints de tristesse au souvenir de sa mort quelques jours auparavant sur le mont Golgotha. Les deux marcheurs n’avaient point reconnu leur prophète ressuscité qui entamait là son come-back, humblement, sur un chemin d’Emmaüs.

À quelques kilomètres de la très taurine Vila Franca de Xira, Pedro Canas Vigouroux élève des toros de lidia dans une herdade dont la seule verticalité repose sur la présence d’une citerne d’eau rongée par le temps. Le Tage, ici, fait son lit et l’on dort mieux couché à plat. La herdade est prénommée Emaús. Autrefois, de part et d’autre du grand fleuve, les quintas succédaient aux herdades, les toros et les chevaux pointillaient la monotonie du paysage de la Leziria de leur placidité apparente.

C’est par l’entremise d’un ganadero ami de la famille, António Cabral de Ascensão, que Pedro Canas Vigoroux devenait éleveur de gado bravo, lui qui n’était qu’un aficionado contaminé par le venin de la passion. Avec le cadeau d’une vingtaine de vaches d’origine Pinto Barreiros, le jeune homme entrait dans le monde des faiseurs de bravoure et rescussitait, à Emaús, l’image, envolée depuis des lustres, des toiros dans cette zone de la Leziria maintenant offerte à l’agriculture intensive, aux constructions anarchiques, autoroutes et autres centrales électriques post-modernes.  Pour multiplier les pains, Pedro Canas Vigouroux se tourne vers Simão Malta, forcado, éminent aficionado, fils d’éleveur et éleveur lui-même. Celui-ci accepte de lui vendre des vaches d’origine Cabral de Ascensão (Pinto Barreiros) mais lui impose dans le même temps de procéder à une seconde résurrection : acheter une dizaine de vaches jaboneras descendantes de la ganadería de Faustino da Gama (certainement via Cunha e Carmo). Au Portugal, en ce début des années 1990, le Veragua (la ligne Trespalacios surtout) n’a plus de réalité que chez le voisin Fernando Pereira Palha. Tout le reste a été sacrifié des années auparavant sur l’autel de la religion moderne du Pinto Barreiros. Pensant les faire trépasser dans un premier temps, Canas Vigouroux passe les « blanches » au purgatoire de la tienta et leur bravoure les sauve d’un aller simple ad patres. Dans les cercados de Emaús, les Veragua cohabitent avec les Cabral mais les regardent de travers. Les toros sont racistes, tous les ganaderos l’affirment et l’on a beau prêcher une religion d’amour, rien n’y fait, les Veragua ne saquent pas les Cabral qui le leur rendent bien.

Au sud, Vila Franca de Xira grignote les coteaux qui dominent le Tage. Les immeubles ont poussé. D’autres pains en somme dont certains, pourtant, sont comme rances et dans l’expectative que la nuit se couche enfin sur la crise qui frappe le pays. Au pied d’une centrale électrique, l’interlope et improbable herdade do Emaús ne protège ni du soleil ni des fils électriques mais les toros sont là où ils étaient il y a cent ans, les derniers peut-être. Comme un résidu de résistance à la ville, à la vitesse, au bruit et au goudron. Le temps d’un instant, de quoi croire au miracle.


1 Évangile de Luc 24, 13-43.

  1. bouisseren Répondre
    Superbe!
  2. Anne-Marie Répondre
    Un peu comme nous : on ne peut pas saquer les Domecq !

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