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Le toreo est un rêve

juanLe toreo est un rêve, un rêve à réaliser et accomplir de façon tangible bien qu’ephemere. Un rêve universel réunissant en son sein aficionados et toreros. Un rêve perpétuel devenant parfois une réalité fugace autant qu’une certitude inébranlable. Le toreo est un exemple, une science autant qu’une magie, une sorcellerie, un songe, un symbole, une quête hasardeuse qui ne doit pourtant rien au hasard.

Le toreo est une vérité qui crève les yeux.

Juan Del Álamo a ouvert la Grande Porte des arènes de Madrid au terme d’une corrida exceptionnelle dont le souvenir restera pour nombre des spectateurs au Panthéon des plus grands moments de tauromachie qu’ils aient vécu. Nombreuses furent les péripéties qui émaillèrent la course, les éléments « pour la petite histoire » mais il serait profondément injuste d’attribuer à ces épiphénomènes une quelconque importance dans l’enthousiasme dans lequel Juan del Álamo a laissé les milliers de spectateurs après s’être engouffré dans son fourgon rue Alcala. Le jeune Salmantin démontra en l’espace de deux combats fort différents les qualités et vertus essentielles d’un torero complet : entrega, technique, art, inspiration, fermeté, décision et courage.
Rien ne lui fut donné, notamment pas par son premier adversaire Licenciado, colorado de 5 ans et demi, numéro 182 et 551 kilos qui ne daigna apparaître en piste qu’après de longues minutes d’indécision dans le couloir du toril et suscita à l’amorce du premier capotazo du matador le plus grand éclat de rire jamais entendu dans les arènes de Madrid : trois ou quatre fois, le toro freina, refusa la veronique et sembla exprimer du chef sa désapprobation. De quoi ôter à quiconque la confiance et le sitio. Calmement Del Álamo lui enseigna le chemin des tiers par de douces véroniques templées et pédagogiques. Les signes extérieurs de mansedumbre prirent ensuite l’aspect de fuite au cheval, à savoir un refilón au réserve, une grosse pique (en place, y croyez-vous ?) en poussant au titulaire, un autre refilón et enfin une dernière rencontre imposée par le président.
La faena fut un modèle de précision, de décision et de concision. Elle s’ouvrit par doblones puis un genou en terre ainsi que de grands toreros interprétèrent à l’occasion le toreo, Dominguin ou Ordoñez pour ne citer qu’eux. C’est ainsi que les deux adversaires gagnèrent le centre. Le manso Licenciado comme souvent les toros d’Alcurrucén révéla alors une noblesse encastée et exigeante, de celles qui renvoient à leurs études ou à leurs métiers alimentaires les toreros médiocres. Del Álamo, torero technique, parfois distant auquel on pouvait parfois reprocher sa froideur donna deux séries extraordinaires de la droite marquées du sceau du mando, de la technique la plus pure, empreinte d’une beauté autoritaire et implacable. Le placement au millimètre, les derechazos rematés en bas, les séries par des passes de pecho toréées ou de souveraines firmas. À gauche, s’ensuivirent deux séries à gauche du même acabit dans lesquelles le toro se livra moins. Extraordinaire inspiration qu’un début de série par un afarolado précieux et aérien et remates de couronnement. L’épée une fois en main, le toreo offrit une série de passes aidées par le bas qui plaisent tant aux aficionados et sont des passes de soumission, trincheras et mépris. L’estocade en toute loi tomba un doigt contraire. Le passionnant Nuñez colorado manso puis encasté acheva sa rédemption en allant mourir au centre même de la piste, livrant un long combat contre l’hémorragie qui l’étouffait et la mort qui l’entraînait. Une mort de toro bravo.
Les tendidos demandèrent unanimement deux oreilles et le président tarda longtemps à accorder le premier et seul appendice. Le torero s’offrit deux vueltas émouvantes. Nombreux les spectateurs à brandir à son passage index et majeur pour signifier le mérite à la seconde oreille.
La froideur du président eut la vertu d’annoncer un sixième combat plein d’engagement. Le toro sortit après une sonore clameur d’encouragement pour le jeune torero. Apparut alors Bocineto, numéro 174, 4 ans et 4 mois, 550 kilos de mansedumbre de gala, reléguant ses 5 frères déjà dans le même état d’esprit a de plaisants amateurs. Le premier tiers se déroula ainsi : un refilón au titulaire au 7, un sous le tendido 2 au réserve, une pique au réserve renversé par le Nuñez et un autre refilón au titulaire au tendido 5. La dose avait elle été suffisante ? Jarocho, en 3 passages aux banderilles, vous assurera que non. Premier passage à faux avec toro plein gaz le renversant d’un coup de plat de corne suscitant la panique en piste. Puis deux paires héroïques sans pouvoir s’illustrer outre mesure dans le style. Le torero d’ivoire et azabache aurait mérité de saluer. Les arènes n’attendaient que le début des hostilités et avec le matador citant plein centre le toro qui s’arranca du burladero, c’est toute la plaza qui semblait aguanter la charge effrayante du monstre. Il fallut faire un pas de côté pour éviter le contact, le torero ne rompit pas pour autant et s’employa à tirer des passes longues et vibrantes où l’aguante est survie et le placement une science exacte. Le combat se poursuivit entre les planches et les tiers des tendidos 7 et 6. Plusieurs fois le toro s’employa à sauter au cou du matador qui jouait trop gros pour se permettre de songer à l’accident. La faena fut une démonstration de technique, d’aguante et de courage sec, valor seco qui n’a rien à voir avec les bravades des faux guerriers. Juan Del Álamo entra a matar après de longues secondes, droit une fois de plus. L’estocade tomba sur le côté entre desprendida et caidita. Le public exigea l’oreille qui n’était pas de compensation mais la récompense légitime d’un combat à feu et à sang. Faisant foi du programme musical du jour, la banda de musical des arènes fit résonner « la Puerta Grande ». Deux vueltas dont une sur les épaules comme il se doit et Juan Del Álamo, jeune torero de 22 ans, 6 ans d’alternative, son costume blanc et son appareil dentaire furent livrés à la foule du parvis des arènes, ballottés, bousculés, entraînés sur un océan d’enthousiasme que la foule lui rendait au centuple. Les moments pareils pour éphémères qu’ils soient restent longtemps dans les cœurs et les âmes. Nul doute que la vie de milliers d’aficionados aura plus de sens et d’intensité pendant de nombreux jours encore.

La corrida fut dans l’ensemble mansa (les trois premiers toros tâtèrent du fer du picador de réserve) mais passionnante car mobile et diverse, Joselito Adame, moins en verve que ses 9 compatriotes de Guadalajara au Toni 2 la nuit précédente ne voulut rien voir ni savoir de Listillo ni d’Afectísimo et écouta quelques sifflets. El Cid ne put rien face au toro du Cortijillo qui ouvrit la course, Coplero ne daignant s’accoupler que lorsqu’il y pensait et avec la vilaine manière de coller. Naturellement, le torero de Salteras sut le tuer au premier voyage d’une estocade en place un peu plate. Au 4, Antequerano, seul toro brave de la journée qui mit le picador sur l’encolure de sa monture, le Cid aguanta en début de faena la tête chercheuse du toro qui zigzaguait dans la muleta droitière. Exceptionnel de fermeté et d’aguante, Manuel Jesus démontrait qu’il n’était pas fini lors de ces deux séries d’ouverture qui auraient mis en déroute tant de ses collègues (on a les noms…). Passage à gauche pour une première série difficile et une seconde véritablement aboutie. Le toro dominé abandonna la partie et la faena fut a menos par sa faute. Naturellement toujours, alors que l’oreille méritée était au bout de l’estoc, le matador pincha en gardant l’épée et mit une entière en arrière au second voyage. Le public l’obligea à saluer sans que l’ovation ne me semblât à la hauteur de la démonstration de torería du vieux Maestro.

Certaines sources bien informées font état que le costume blanc et argent de Juan Del Álamo, saccagé, déformé, arraché, martyrisé lors du passage de la Grande Porte ne passera pas par la baignoire et rejoindra directement une vitrine. Des infos, des vraies !

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