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Un coup de dés

Dimanche 23 juillet 2017 – Orthez
novillos de Valverde (novillada piquée) pour Tio García et Baptiste Cissé et 6 toros de Valverde pour Octavio Chacón, Tomás Campos et Manolo Vanegas.


À 21 h, car les courses de toros durent maintenant trois heures en France, public et aficionados a los toros quittaient les travées du Pesqué sourire aux lèvres, mouchoirs usés et la panse à souvenirs copieusement remplie. La corrida de Valverde avait été bonne dans le sens de ce que l’on est en droit d’attendre de toros de lidia : du sérieux et de la caste. Pour les absents du matin, la coupe était pleine et belle, pour les présents lors de la novillada du même fer, les six toros faisaient oublier le fracaso pré-apéro, pour les venimeux (surnom gentiment attribué à votre serviteur) membres de l’ordre des « donneurs de leçons » (idem), l’équilibre était rétabli. Car la novillada matinale de cette Journée Taurine d’Orthez avait de quoi plomber la suite des événements : un premier animal mal intitulé novillo tant son tamaño et son manque de formes et de forces le rapprochaient plus de l’eral, un quatrième flanqué comme une vache, efféminé et invalide (arrière-train discount) à l’excès et deux autres sans histoire, sans piquant comme une recette de cuisine anglo-saxonne. Face à ce bétail dont au moins deux étaient imprésentables, deux novilleros français, Tibo García et Baptiste Cissé (remplaçant Adrien Salenc blessé), dont la particularité réside en cette manie de vouloir égrener des passes comme on accumule des points sur la carte fidélité de Carrefour : personne n’y fait gaffe, on ne tient plus les comptes. Si Baptiste Cissé a au moins le sourire de ceux qui en veulent un chouia, Tibo García traîna dans le ruedo béarnais une figure alanguie comme si elle avait été l’ombre de sa tauromachie déjà stéréotypée, distante et profilée. Cissé pareil mais avec le sourire donc ; ça peut compter quand le temps est bougon.
Cette novillada matinale fut donc un pensum difficile à digérer mais pour lequel le gentil public se montra éminemment courtois et trop compréhensif. Aucun sifflet à l’entrée en piste du premier ou du quatrième qui reniflaient le carambouillage en bonne et due forme.

À 18h et un rang d’oignon de bières chaudes car les paséos s’éternisent de plus en plus en France, les présents du matin purent craindre que la corrida ne se résume à un mauvais remake de la novillada : « Fracaso II , le retour sans la Force », un blockbuster calibré et pensé pour t’engraisser de sucres saturés sur un vieux canapé l’hiver. ‘Carafea’, n° 67 mais peu nous chaut, était laid, haut, sans morrillo et vilainement abîmé sur la corne droite. Après trois rencontres dosées et sans aucun intérêt, le Valverde fut comme secoué par les coups de pieds au cul distribués par les esprits des aïeux d’Alès et d’ailleurs. Le bien nommé ‘Carafea’ s’avéra bronco, agité, vif et avisé, un concentré de méchanceté sortie du bout de la rue, insultant et bravache. Valeureux, Chacón ne put rien dans son toreo décousu et somme toute assez limité. Un encuentro forcé en guise de mise à mort… les dés étaient lancés qui jamais n’abolissent le hasard.
Après cette entame, nos inquiétudes en terme de présentation furent emportées vers l’est, le vent venant de l’ouest. Déboulèrent sûrs de leur beauté ‘Servicioso’, ‘Servicioso II’, ‘Carafea II’, ‘Guitarrero’ et un possible ‘Rompe hilos’ mais rien n’est moins sûr tant la confusion régna au micro et au panneau tout au long de la journée. Tous superbes de lignes, certains impressionnants comme le deuxième ou le quatrième, tous bien voire très armés (on relèvera cependant une ou deux cornes escobillées) : fin de l’arnaque matinale. À notre sens, le toro le plus brave — au cheval, précisons! nous qui aimons donner des leçons — fut ‘Servicioso II’ (le 3) qui poussa fort et fixe sur ses deux premières rencontres mais dont la troisième fut rapidement écourtée. Vite arrêté ensuite et très tardo, lui succéda le monstre du jour, ‘Carafea II’, toro querencioso dès la sortie mais qui rendit le tiers de pique passionnant par sa violence et sa force — point de bravoure chez ce manso avéré. Il emporta le cheval — cuadra Heyral, le détail est d’importance — et le piquero à une altitude évaluée à un mètre au dessus du sol avant de leur offrir un atterrissage passible d’un carton rouge mérité dans le rugby moderne. Au passage, il décocha un énorme coup de boule à la Depardieu au picador qui se relevait, du genre qui te transforme ton joli petit nez en trompette (clin d’oeil à Jérôme Pradet) en saxophone baveux. Bon à droite une fois dans la passe, Chacón l’entreprit à distance et sans savoir où aller, jusqu’à trouver a priori puisque tout à coup il décida de se croiser et les choses n’en allèrent que mieux.
‘Guitarrero’, si c’est bien lui, prit deux piques dont la première fut poussée fixement mais vite relevée et la seconde fut à peine posée sur son échine ce qui déclencha évidemment les applaudissements du public qui goûte de plus en plus la cuisine allégée à 50 %. Noble, exigeant dans ses charges achevées par une tête un rien relevée, il permit à Tomás Campos (le doux nom) de dessiner de jolies séries pourtant bien plus périphériques que celles distillées dans une plus grande sincérité à son premier adversaire. Un vilain bajonazo le privait fort justement de la seconde oreille de ‘Guitarrero’ qui recevait, lui, les honneurs du mouchoir bleu ; le président de la course, jusque là tout à fait juste, ne doit pas en revenir lui-même.
L’ultime Valverde offrit à Vanegas la possibilité de démontrer son envie de triompher et pour un jeune matador d’alternative, c’est le moins que l’on puisse attendre même à Orthez malgré ce que peut en penser un organisateur de corridas du Sud-Est qui, le matin, expliquait à un béat aux écoutilles grandes ouvertes que les jeunes (novilleros en l’occurence) ne venaient pas ici (à Orthez) pour se la jouer et qu’il était alors logique qu’on leur sorte des novillos « adaptés ». L’air du temps sent la pisse froide décidément. Bref, Vanegas fit beaucoup de passes sans toujours peser sur le toro mais personne ne peut lui enlever cette entrega de bon aloi. Bien exécutée, l’estocade lui valut les deux oreilles qui clôturaient une corrida qui était allée a más mais qui jamais n’aurait dû s’achever sur la vuelta a hombros du mayoral de l’élevage. Que la ganadería de Valverde montre des signes positifs de mieux est une excellente nouvelle pour toute l’afición car il semble que monsieur Couturier sélectionne un toro exigeant et solide mais que l’on fasse passer cette intéressante et très sérieuse course pour un triomphe retentissant et complet n’est que la démonstration que de partout le navire prend l’eau et qu’elle n’est pas bénite.
Un coup de dés jamais n’abolira le hasard mais il y aura des Valverde à Orthez en 2018 ce qui doit réjouir la commission taurine du lieu lui évitant ainsi une trop longue escapade campera cet hiver.

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