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Sisyphe en Navarre

Mardi 15 août 2017 – Tafalla (Navarra)
6 toros de Marques de Albaserrada (Pedrajas/Domecq) pour Serafín Marín, Joselillo et José Arcilla.


Dans la partie finale de l’ascension du Tozal de Guara (Aragón), le roulis des minuscules petits cailloux rend la montée interminable. Chaque pas vers le sommet est une reculade, un recommencement sans fin du geste le plus naturel qui soit : mettre un pied devant l’autre. Sac sur le dos, buste aimanté par le sol, le soleil devient torture comme s’il appuyait de toutes ses forces sur votre nuque pour vous aplatir et vous faire disparaître dans le grincement des pierres qui vous entraînent vers le bas. Pour un peu et en exagérant, on se prendrait pour le Sisyphe du Tartare.
C’est peut-être vers lui qu’allèrent nos pensées en sortant des arènes de Tafalla ce 15 août. Non. C’est venu plus tard en vérité car en quittant la belle plaza de toros de Tafalla qui date de 1888, nos pensées, chagrinées, grisâtres il faut l’avouer, étaient toutes destinées à Fabrice Torrito, le mayoral de l’élevage du Marques de Albaserrada. Si Tafalla ne fut pas Riscle, reconnaissons que les motifs de satisfaction de ce lot de toros s’avérèrent bien chiches. Si le lot était bien présenté et plus que sérieux, l’état des cornes de certains bichos ne laissait pas d’interroger… ce que nous fîmes. Il semblerait que l’embarquement et le débarquement des toros (ajoutons à cela le fait qu’à Tafalla les toros sont débarqués une première fois puis ré-embarqués pour participer au desencajonamiento public et sont ensuite de nouveau maniés pour participer à l’encierro matinal) ont eu raison des pointes de plusieurs astados de la Mirandilla, particulièrement de celles du superbe toro d’ouverture. Au-delà des doutes et suspicions légitimes — depuis les gradins et sans connaissance du contexte — eu égard à ce très mauvais état des cornes (l’arreglado fut obligatoire pour faire lidier la course), l’encierro ne proposa que peu de matière à discourir des heures et seuls le second magnifique affublé d’un toupet roux des plus originaux et le cinquième affichèrent de la caste, rude pour le second mais beaucoup plus allègre et noble pour le cinquième qui permit à Joselillo de construire une faena sympathique mais décousue.
Trouvé on ne sait où, tein terreux et mine de deuil, le plus jeune matador de la terna, José Arcilla (Colombien) sembla terrifié par les possibilités combattives du dernier superbe Albaserrada. Compréhensif et bienveillant à son égard, son piquero, le local Sangüesa, entreprit de mettre à mort le guerrier : la pique montée à l’envers officia comme un ouvre-boîte et laissa sur l’épaule du toro une atroce béance dans laquelle l’indigne varilarguero n’hésita pas à faire entrer entièrement la cruceta à la seconde rencontre. Resté inédit en troisième tiers, l’Albaserrada promettait beaucoup mieux.
Depuis des années, le Club Taurin de Tafalla hausse le ton auprès de l’empresa pour avoir droit à un tiers de piques décent. Petit à petit, dans la forme en tout cas, les choses évoluent positivement. Cette année, un papier était collé sur le bois du callejón pour informer les cuadrillas que deux piques minimum étaient exigées. Et l’on eut droit à deux rencontres par toro ! Las, les professionnels ne l’entendent pas de la même oreille et se conduisent avec les espoirs du club taurin local comme Zeus avec Sisyphe : la punition est éternelle. Piques vrillées, pompées, montées à l’envers, cariocas automatiques, on en passe. Le petit pas gagné par le club taurin dans le terrain glissant d’une lidia correcte et décente est proprement annihilé par les mauvaises manières d’une profession parfois insupportable.
Fabrice Torrito n’en a pas terminé avec l’ascension de son Tozal de Guara. Les premiers produits issus du rafraîchissement Tulio (ce jour le mauvais quatrième) n’incitent pas à la bonne humeur. Un pas en avant, deux pas en arrière. On n’en finit jamais avec les toros et Sisyphe continue de monter sa pierre.

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