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Vic 2018

Tout est question de point de vue finalement, enfin un peu. Je me suis fait la réflexion un jour à Madrid sur une paire de banderilles qui avait fait lever tout un tendido quand le reste des arènes s’était contenté d’une moue étonnée devant pareille réaction. En piste les toreros entendent des voix, d’un banderillero, du mozo de espada, de l’apoderado ; quelqu’un de confiance leur apporte le point de vue extérieur qui peut manquer au cœur de l’action. Dimanche soir, dans la rumeur bruyante de la ville basse où la fête bat son plein (« le trou » disent certains) et qui parvenait jusqu’aux arènes, nous échangions des verres et des points de vue sur le sable du ruedo. La piste me paraissait soudain immense, les refuges éloignés, « mais le toro n’est jamais loin » me répondit à raison Marc le lendemain. Du haut des gradins, ces quelques ares de sable semblent riquiqui. Tout cela n’est pas qu’une question d’angle : quoi qu’en disent les plans des arènes quand il s’agit de prendre son billet « en ligne », il y aurait tant à dire sur les mondes de l’arène : piste, contrepiste, public

La subjectivité accable tous les acteurs de la corrida, le détail abonde, furtif, insaisissable. Écrirait-on la même chose d’un combat identique selon qu’on y assiste à Arles dans le Mistral de Pâques, à Madrid au soleil, à Pampelune sous les averses de vino tinto ? Probablement pas.

Pour peu que le lundi de Pentecôte soit ensoleillé et la corrida pas trop longue, le voyage à Vic se justifie par le seul panorama qu’offre la route de l’ouest vers Manciet au soleil rasant à l’heure de quitter le Gers, la tête déjà à Madrid ou à Céret, afin de ne pas trop s’appesantir sur le regret de ne pas pouvoir s’arrêter à contempler les paysages des jours durant. Mais nous sommes d’implacables gestionnaires.

Nul doute que la feria de Vic 2018 restera un cru décevant : Pensez donc ; deux malheureuses oreilles dont une n’avait que 3 ans *. Le détail abonde, disions-nous, n’est-ce pas ? L’on s’est beaucoup ennuyé sur les gradins, un peu amusé, alimenté, levé, protesté, sans excès. La rue de la République qui monte du centre névralgique du « trou » devient la rue Raynal puis l’avenue Edmond Bergès en quelques hectomètres. Depuis quelques années, il faut franchir des contrôles, ouvrir des sacs, subir une palpation, montrer son bracelet pour passer d’un monde vers l’autre, cela aurait-il au fil des ans découragé les festayres de grimper jusqu’aux arènes ? Les deux mondes semblent désormais cloisonnés et l’ambiance des arènes où l’on demandait il y a dix ans le retour du « mardi de Pentecôte » et se faisait passer une tortue gonflable entre deux toros est devenue religieuse, tendance Port-Royal.

Les conversations inquiètent : les valeureux organisateurs de Boujan, Beaucaire ou Céret (je n’ai pas eu la chance de croiser les Parentissois) scrutent le remplissage des gradins, se désolent des campos désertiques, déplorent l’escalafón actuel. Il règne en général une ambiance qui semble annoncer un danger sourd, incertain mais inexorable : on lorgne mollement du côté de Nîmes où Bison Futé annonce des embouteillages en fin d’après-midi par la Porte des Consuls dans une euphorie insouciante. La seule question qui tienne encore concerne les Pablo Romero du Vendredi ? Dans le type ? Faibles ? Décastés ? Non pas si pire. Tout cela semble un autre monde.

Pour ma part, c’est la joie qui l’emportait sans trop savoir pourquoi, la joie de rester sur place pour dormir et faire la fête grâce aux relations d’une bienfaitrice, de retrouver autour des arènes des visages connus, d’ici et là, comme venus en procession… et surtout : la joie de voir des piques. L’on peut se plaindre de beaucoup de choses dans le Gers en 2018 et cela ne saurait tarder, rassurez -vous, mais de Palos de la Frontera à Azpeitia, qui se hasarde en Espagne désespère assurément du tiers de piques, y compris quand ces deux localités aux antipodes affichent Cuadri aux murs de leurs arènes. Il n’y paraît rien mais envoyer chaque toro trois fois au cheval au XXI° siècle relève du miracle : les cuadrillas jouent le jeu, à peu près, ce n’est pas anodin. La face sombre de ce premier tiers tient dans son exécution, piques traseras, cariocas, multipliées avec les dégâts infligés par la pique Bonijol qui rentre à tous les coups et à chaque impact. Á quelques rares exceptions près, les picadors ne firent guère honneur à la profession, quelques assassinats en règle me restent en mémoire : le 4ème Pedraza par Curro Diaz, le Maños de la concours par Gabin aux ordres de Tomás Campos, ou le premier Maños du défi ganadero de samedi, sorti en deuxième position et magnifique de trapío dont le picador de Sergio Flores fit jaillir des geysers de sang.

Sur le papier, le bétail de la feria avait fière allure. Nuñez de chez Retamar en novillos, Valdellán/Los Maños, concours de Santa Coloma et le retour des Raso de Portillo mais en corrida cette fois. Seuls les Pedraza de Yeltes le lundi ternissaient le tableau avec ce sentiment de rabâchage qui gagne partout. Passée la feria, que reste-t-il de ces 28 toros ? Le sentiment mitigé d’avoir vu la plupart faire leur devoir au premier tiers, souvent sans beaucoup d’alegría mais parfois avec de jolies manières (‘Olivito de La Quinta lauréat du concours, le quatrième novillo de Retamar, ‘Joyito de Pedraza sorti en premier, bison encore laineux) ou en mettant les reins (‘Tontillo et ‘Campanero de Pedraza et plusieurs Raso de Portillo) pour ne proposer à la muleta qu’une triste panoplie de comportements au mieux pastueños, au pire de boeufs décastés avec un détour par quelques comportements assassins, notamment dimanche avec la corrida de Raso de Portillo. Le vainqueur du concours ne fit pas exception à la règle, mettant la tête dans la muleta pour la relever bêtement au sortir de la passe, se décomposant lentement au cours du dernier tiers. Il m’est difficile d’expliquer avec conviction ces comportements dissemblables… la taille de la piste permet-elle à des boeufs de faire illusion au cheval ? Ou bien la caste a-t-elle permis à des toros exsangues de rester debout ? Je ne crois guère à la seconde version. La corrida de Raso de Portillo fut probablement infâme mais eut l’avantage de susciter l’émotion propre aux corridas ouvertement assassines. Il y a fort à parier que les Pedraza de Yeltes eussent gagné à évoluer sur une piste mieux faite que le carrelage saupoudré de sable qu’ils trouvèrent lundi à leur sortie du toril.

Les toreros pour leur part confirmèrent combien il doit être difficile de monter des cartels avec l’escalafón actuel… Si Pacheco a une ceinture intéressante mais ne m’a rien laissé en mémoire, Adoureño confirme qu’il doit se poser sérieusement la question du bien fondé de son alternative dacquoise dans trois mois. Les cartels des samedi et dimanche après-midis furent préoccupants… Escribano en roue libre, Flores inédit, Ritter en manque de pratique et blanc de trouille furent chacun en dessous des possibilités que l’on voulut bien deviner chez leurs toros. Chacón assure la lidia mais n’a rien à proposer muleta en main, Nazaré constituait une erreur manifeste de casting, Lamelas, dont la cuadrilla est constante de nullité, ne put trouver les ressources qui firent de lui le héros du combat de ‘Cantinillo en 2014, il s’agit d’un pudique euphémisme. Á la concours, Lopez Chaves fut le plus en vue, chef de lidia efficace et servi au sorteo avec le seul toro de la matinée. Pepe Moral se justifia laissant entrevoir un toreo élégant et Tomás Campos tenta face au Christophe Yonnet décasté de toréer dans des canons qui nous sont agréables : muleta impeccablement repassée, toreo de face… puis démissionna face au toro aragonais qu’il fit assassiner.

Face aux Pedraza, Curro Diaz promena son empaque insolent à distance raisonnable de ses adversaires. Il reste un torero de détails et d’allure incroyable, mais désespérément parallèle. Nous lui savons toutefois gré de ne pas surjouer les belluaires quand il s’envoie du sérieux. Il fit peur à tout le monde au 4 qui le fit tourner sur sa corne. Il fallut attendre Daniel Luque, et le 24ème toro de la feria pour voir enfin un torero proposer une muleta ferme, du mando, du toque, en un mot un peu d’autorité qui lui permirent de lier quelques séries à droite inespérées. Emilio de Justo, toujours torerissime d’aspect me plut au 3, qu’il eut le bon goût de ne pas toréer à 15 mètres comme la plupart de ses collègues du week-end, de se placer plutôt bien sans toutefois avancer la jambe une seule fois. Toreo excessivement sonore tout au long de la corrida. Il changea de registre au 6, qu’il ne voulut pas voir ni trop approcher dans un premier temps, finissant par illustrer entre les cornes du toro ce qu’assènent les toreros : « se croiser est une ventaja », ce qui est vrai quand on se croise pour envoyer le toro à l’extérieur… manque de respect au toro, châtié d’une cogida qui le laissa piétiné au sol. Retour groggy en piste pour arracher une oreille sur un pinchazo et un infâme bajonazo. Oreille un peu ridicule mais fortement désirée et demandée par le maestro. Qu’importe.

Tout au long de la feria, trop de toreros se contentèrent d’accompagner les charges sans entrain de leurs adversaires avec une muleta distante, tirant des droites à mi-hauteur sans fermeté ni projet. Il y a fort à parier que dans la prochaine mouture du Cossío, l’expression « charger la suerte » ne se trouve affublée d’un triste italique : inusité.

* L’auteur a eu l’ambition de faire preuve d’une délicieuse ironie sans tout à fait parvenir à ses fins et prie le lecteur de bien vouloir envisager le bilan de la feria sous l’aspect exclusif du nombre d’oreilles sous cet angle décalé.

  1. spittler Répondre
    Encore merci pour ces commentaires au "vinaigre" qui nous changent bien de la soupe servies par des médias aux ordres des apoderados et autres empressas. Club taurin du massif vosgien "tres tercios"
  2. Anne Marie Pioger Répondre
    Mais la pique est sifflée à Vic.

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