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Le monde ultraconnecté et dématérialisé n’est finalement pas adapté à la corrida. Elle est matière première autant qu’œuvre d’art, elle a ses odeurs, ses sons, ses cris, ses souffles, son rythme, ses saccades et ses emportements qui, tous, ensemble ou entrepris indépendamment les uns des autres, dressent le tableau de maître d’un univers palpable mais mystérieux, acéré, réel, instantané, sentimental mais pour autant sujet à la réflexion et à la dialectique neuronale. La corrida est le vivant exacerbé par qu’elle s’exhibe à l’entrée des enfers. La corrida montre le sang et la bave. Le sable est vrai, jaune ou gris il jaillit. Les burladeros sont tailladés de coups de cornes, les corrals sentent le caca, on transpire, on boit, on fume, on discute, on s’engueule, on s’aime bien. 

Quand le rideau tombe, on demeure seul avec ses souvenirs. Ils se déforment avec le temps. On exagère. On se souvient, on oublie, la vie donne les bonnes ou les mauvaises passes. 

Un grand nombre d’aficionados, j’en suis certain, a le défaut de la conservation. Comme on accumule dans une maison les objets inutiles que les déménagements successifs obligent à l’abandon, l’aficionado mordu collectionne les petits machins, les vieux papiers. Ça aide la mémoire. Certains classent des revues, listent des articles, d’autres entassent les affiches que jamais ils ne colleront au mur et tous conservent quelque part les billets des corridas passées. Le format varie mais demeure un rectangle. On y lit la porte d’entrée, le tendido, la date et le numéro sur lequel on a posé son séant ce jour-là ; ça y est je m’en souviens, il faisait chaud bordel, au cinquième qui était armé à faire peur, Milian a plongé dans le berceau pour le tuer, il passait pas avec cette corne droite ! 

Les billets de corrida sont le socle de nos souvenirs et, avant, de nos espérances. On le plie une fois passés les contrôles, on le range précautionneusement, on l’oublie dans un coin mais on sait qu’il est là. On l’a récupéré à la taquilla, il est arrivé par la poste, des amis s’en sont chargés. Il existe, il demeurera et avec lui pourra ressurgir un jour une image, un instant. Au fond, peut-être n’a-t-on pas besoin de lui mais mieux vaut ne pas prendre de risque. Pascal est le philosophe de l’aficionado a los toros ! Macron celui des empresas. 

Pour qui vit loin de Madrid, acheter des billets pour une corrida qui risque de remplir est simple : internet. Le site de l’empresa Plaza 1 est bien fait, facile à utiliser. En deux temps trois mouvements, la carte bleue est dégainée et les billets sont à nous. Dans un coin de la tête, on sait déjà qu’on les conservera avec dévotion, que la course soit bonne ou muy mala comme elle le fut. 

Patatras ! Le mail de confirmation annonce que le PDF envoyé correspond aux billets. Un PDF ! Imprimé en noir et blanc brouillon sur une mon imprimante en fin de vie. Une feuille A4 de laquelle l’encre s’échappera comme déjà lui manque le charme et le pouvoir d’évocation. 

Un ami très cher a connu la même déconvenue avec sa réservation pour la feria de Céret de Toros 2018. 117 euros et un PDF qu’on lui scannera à l’entrée des arènes. Céret n’est pas Madrid mais la dématérialisation est en marche et rien n’est plus sûr que d’autres prendront le train. Les feuilles A4 se déchirent aussi facilement que les cœurs.

  1. Anne Marie Pioger Répondre
    Mais Laurent, il faut changer d'imprimante ! Pour moi Simon, il a fait de jolis billets, avec Picasso, et tout, et tout. Il ne manquait que les toros. Mais bon. J'avoue être aussi un peu conservatrice. Les billets, les sorteos, les pages du Midi Libre, la poussière sur les pompes, mes gobelets du 421 et des autres, mes robes très légèrement salies rue Fresque, et tout et tout. Je garde tout ! J'aime trop corrida et la fiesta ! Et que cela dure encore longtemps. Malgré tout.

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