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Dolores ou les caprices de la mansedumbre

Dimanche 27 mai 2018 – Madrid
6 toros de Dolores Aguirre Ybarra (Atanasio Fernández/Conde de la Corte) pour Ruben Pinar, JC Venegas, Gomez del Pilar.


L’aéroport de Barajas grouillait de Madridistes plus très frais arrivant de Kiev où le Real Madrid venait d’emporter la treizième Ligue des Champions de son histoire. Dans la rue Echegaray, le passage des services de la ville n’avait pas totalement gommé les effluves de fête de la veille, partout en ville passaient des supporters merengue attendant l’heure de la présentation de la Coupe à Cibeles et au Bernabeu. Le capitaine du Madrid, Sergio Ramos, est un rugueux défenseur né à Camas, habitué du callejón de Las Ventas et ami de Talavante, adepte du toreo de salon les soirs de victoire… Quand la veille en Ukraine sortit en piste la meute scouse emmenée par un Égyptien frisé sérieux candidat au ballon d’or 2018, l’institution madrilène sembla vaciller quelques minutes, jusqu’à l’intervention du capitaine andalou ; d’une subtile clé de bras, celui-ci entraîna dans sa chute Mohamed Salah. Quelques minutes plus tard, l’Egyptien touché à l’épaule dut céder sa place à un aimable réserviste de l’équipe nationale d’Angleterre. Liverpool réduit, volontaire, mais désespéré en son for intérieur fit ce qu’il put et abandonna le trophée aux Madrilènes. Les commentateurs scandalisés hurlaient au ippon de judoka ayant faussé la partie, le geste de Ramos n’était en fait qu’un hommage appuyé aux picadors chargés de réduire par tous les moyens un toro débordant de caste, y compris en visant l’épaule. Ni la télévision française ni l’espagnole (Eurovision oblige ?) n’eurent le bon goût de montrer les Véroniques du capitaine Merengue sur la pelouse de Kiev, ni la présence de Talavante à ses côtés : l’absence de culture taurine n’afflige pas que les commentateurs de Movistar Toros.

La foule de l’ombre avait-elle fui massivement à Bernabeu pour assister à la présentation de la coupe ? Toujours est-il que sous un ciel gris les tendidos ombragés semblaient déserts pour la corrida de Dolores qui n’eut en effet rien de comparable à une célébration à base de confettis, paillettes et musique pompier. Mansa à bien des aspects et dans le style de la maison, la course ne manquera pas de se faire assassiner par la presse aux ordres. Il faut reconnaître qu’en piste la présentation laissa à désirer dans l’ensemble par son hétérogénéité, le quatrième (‘Pitillo’ numéro 1 10/13) impresentable sans le moindre trapío malgré les 640 kilos affichés annonçait la couleur de sa mansedumbre dépourvue de caste dès sa sortie en piste. ‘Botero’ , bizco sorti en première position (numéro 25 – 10/13 – 604 kg) et ‘Bilbatero’ dernier du lot (numéro 15 – 12/13 – 634 kg) n’avaient pas grande allure non plus. Seuls ‘Caracorta’ (numéro 29 – 10/13 – 568 kg) et ‘Carafea’ (numéro 53 – 12/13 – 574kg) sortis deuxieme et troisième firent honneur par leur présentation aux critères habituels de l’élevage.
La corrida se divisa en deux parties, la première « Doloressissime » de comportement, mansa encastée fut passionnante et exigeante, la seconde, mansa perdida avec beaucoup moins de caste laissa au public une impression d’ensemble fort négative. La course fut extrêmement châtiée au cheval, la palme à ‘Cigarrero’, cinquième du lot (numéro 23 12/13 et 626 kg) qui affronta six fois le cheval entre refilones et puyazos très appuyés y compris au réserve qui faillit chuter. ‘Bilbatero’ eut droit à trois rations, seul ‘Carafea’, le troisième, parvint à esquiver le premier tiers et les tentatives de cariocas légitimes, prenant 4 refilones au passage et aurait probablement mérité de se voir infliger les banderilles noires.
‘Botero’ ouvrit le bal en poussant fort la tête en bas sur la première pique puis la deuxième avant de sortir seul. Charge bronca à droite, infréquentable à gauche, partant droit quand on lui cherchait l’œil contraire, commença à faire planer un danger qui ne se démentit pas tout au long de la course, le vent n’arrangeant rien à la tâche des toreros. Ruben Pinar parvint à lui donner à la troisième série les seules passes pas trop anachroniques de l’après-midi, malgré la tête chercheuse et la charge incertaine. Le passage à gauche acheva de faire reprendre au toro ses mauvaises manières et le combat s’acheva sur deux pinchazos et une entière légèrement contraire. Le courageux matador salua.
‘Caracorta’ partit deux fois de loin au cheval et récolta deux impacts dans le dos non rectifiés. Le deuxième tiers fut une capea où la cuadrilla afficha bien des limites : Adalid à la brega et ses compagnons aux banderilles où une demie douzaine de passages furent nécessaires pour pouvoir passer réglementairement au tiers suivant. Toro compliqué dans des mains manquant de pratique, ‘Caracorta’ coupait allègrement les trajectoires et se moquait du tiers comme du quart des projets de cite de la muleta andalouse qu’il considérait la tête haute. « Donne-lui trois passes par le bas et on te donne une oreille » entendit-on au 7 : c’était trop demander. Une entière tombée entraîna une mort subite.
Gomez del Pilar avait l’an dernier laissé passer avec ‘Burgalito’ une possibilité de succès bien plus retentissant que l’aimable oreille récoltée alors. Il avait ensuite étonné par son calme et son courage à Céret. Il partit attendre ‘Carafea’ à porta gaiola. Abanto comme il se doit, celui-ci ne daigna pas prêter attention et visita les barrières au pas. Premier tiers interminable en 4 refilones, exercice des bâtonnets compliqué, manso de gala, il fallut au matador courir après lui le long des barrières pour finalement administrer des passes de châtiment bien senties mais qui ne résolurent pas les problèmes de comportement du toro qui se promena du tendido 4 au 10 puis retour. Toro assassin, fils de la grande pute, vent criminel, course autour de la piste, rien ne fit entendre raison au monstre. Gomez del Pilar le poursuivit inlassablement le sourire aux lèvres et finit par le coucher d’une entière tombée au soulagement de tous, une ovation salua sa digne prestation.
La dose de caste baissa sensiblement avec ‘Pitillo’ qui prit trois piques, provoqua une capea infernale au second tiers et courut en tous sens sur la piste. Totalement décomposé, déambulant le long des barrières, il rendit la tâche difficile à Ruben Pinar qui l’envoya apprendre les bonnes manières dans un monde meilleur d’un bajonazo aussi vilain que libérateur.
‘Cigarrero’ sortit abanto également et se désintéressait tellement des leurres que Venegas crut ou voulut faire croire à un problème de vue (les réserves étaient d’Adelaida Rodríguez). Il se réveilla au contact bref du premier fer et partit faire sa fête au picador de réserve qui lui administra une ration carabinée. Adalid revint en grâce aux banderilles et salua sous une énorme ovation légèrement exagérée. Faena décousue, le toro semblant abandonner la partie. Une épée engagé plate et un peu tombée lui laissa le temps et l’énergie d’aller se réfugier au toril sans surprise aucune.
Gomez del Pilar parvint à « passer » sa larga cambiada à porta gaiola au 6, ‘Bilbatero’, auquel Manuel Macias livra une brega intéressante et appliquée. Décasté au possible, le toro s’en fut s’agenouiller à la porte du toril par pure absence de race et de combativité. Triste final pour une corrida anachronique, âpre et solide, pleine d’émotions dans sa première partie.
Grande dignité des trois matadors dans le vent et l’adversité.

Photographie Louise de Zan.

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