La corrida de Victorino Martin mérite-t-elle de passer un week-end entier à Madrid sans plus de toros à se mettre sous la dent que ceux épointés du rejón ? Un week-end pour une corrida, c’est finalement l’anti-feria française, stakhanoviste et sans répit, l’occasion rêvée de se coucher tôt une fois, faire une sieste et visiter l’exposition Brassaï sur le Paseo de Recoletos. San Isidro clôturait son cycle par la corrida de la presse et comme souvent par l’élevage phare de l’encaste Albaserrada. Le cousin avait mis la barre relativement haut deux jours auparavant et Chaparrito semble bien parti pour récupérer le trophée de meilleur toro de la feria. Absent de la corrida de Beneficencia quelques jours auparavant, le roi Felipe VI était présent en barrera du 9, recevant tout sourire à son arrivée la noblesse d’une ovation grande et pas ingrate.
Le lot eut le mérite de permettre aux spectateurs de la semaine de relativiser le vague sentiment de déception des jours précédents car malgré une présentation homogène et très typée, la course eut un fond de faiblesse en général et fut châtiée avec égards et ménagement au cheval. Le lot dans l’ensemble s’en fut remplir son devoir chevalin avec un enthousiasme modéré et quelques signes de mansedumbre, il manqua également de mobilité et de transmission et afficha des difficultés au capote puis dans la muleta : regards appuyés, charges incertaines et courtes notamment.
Escribano alla recevoir ses deux toros à Porta Gaiola sans grand succès : le premier l’ignora complètement et le second vint au pas, il fut plus que quelconque aux banderilles, clouant à cornes, tête, voire toro passé. Lazarillo (numéro 36, né en janvier 2014, pesant 536 kilos) ouvrit donc le bal et fit l’aveugle en méprisant l’invitation à genoux du matador face au toril. Pas spécialement clair au capote, il fut mené au centre à reculons. Première pique corrigée et seconde mesurée, trois paires de banderilles sans briller et brindis au roi. Lazarillo chargeait au pas, le regard vif, comme à l’affût d’un mauvais tour, Escribano, trop bon voyant pour se laisser jouer des tours, enchaîna quelques séries quelconques et tua d’un bajonazo. Silence.
Hebreo (numéro 10, 01/14, 562 kilos) prit sans enthousiasme le capote au pas sur la larga cambiada de rodillas, manqua de mettre Escribano en danger mais dérapa puis se prit au jeu de la percale dans le terrain du toril, permettant quelques véroniques vibrantes mais nécessitant souvent un pas en arrière. Très préservé au cheval pour faiblesse manifeste, il montra beaucoup de mobilité aux banderilles (cuarteo, sesgo por dentro, quiebro sur la corne droite). La faena débutée par un cambio au centre, tomba vite dans une ennui profond, le toro étant rattrapé par sa faiblesse. Le torero de Gerena insista trop et conclut par un pinchazo et une estocade.
Personne ne croyait trop à la présence de Paco Ureña suite à un accident au campo quelques semaines auparavant. Affublé d’un corset et contre l’avis des médecins dit-on, le torero à la triste figure était bien là au paseo, recevant une ovation et suscitant quelques réserves a priori quant à ses capacités actuelles à toréer des Victorino à Madrid. Il fut débordé au capote par ses deux adversaires aux intentions douteuses, devant rompre et laisser les instruments par deux fois. Escogido (numéro 61, 02/2014, 556 kilos), long de museau et veleto d’armure était le plus asaltillado du lot, il reçut une première pique en place de Pedro Iturralde laissant augurer un grand tiers mais la seconde au milieu du dos, donnant ensuite quelques signes de faiblesse. Ureña brinda au centre puis au roi auquel il tint un long discours. Faena dans le terrain du tendido 7, débutée par une grande série de la droite ponctuée par une passe de poitrine infiniment toréée. Une affiche. Le torero de Lorca pensait-il pouvoir se hisser à pareil niveau malgré son infirmité ? Toujours est-il qu’au fil de la courte faena, son visage s’illumina d’un sourire de Pierrot ressuscité. Escogido pour sa part n’avait rien du premier choix de la maison dans sa manière de charger. Il fallut à Ureña se centrer, se croiser, chercher l’oeil contraire et toujours tirer la passe loin derrière, se faisant bousculer à l’occasion par le corps de son adversaire. Tauromachie peut-être affectée, mais trop exceptionnelle dans son concept pour faire la fine bouche. Le toro s’avisait et le 7 joignant les doigts lui fit signe qu’il était temps de tuer. Epée de mort en main (gauche), Ureña tenta une série de naturelles de la main droite sans grand succès. Un infâme bajonazo et une longue agonie sans succès au descabello firent perdre toute possibilité de trophée. Salut au tiers mal payé. Borrajito (numero 136, 01/14, 558 kilos) sorti en cinquième, promena d’entrée une caste pleine de mauvaises intentions et de doutes à l’heure de se livrer à un cite ou un leurre, Ureña désarmé d’entrée dut sauter dans le callejon. Borrajito promenait donc ses doutes au pas que ne parvint pas à réduire la cuadrilla à laquelle le matador délégua bonne partie de la lidia et finit par prendre deux piques. La faiblesse n’arrangea rien à l’affaire de la réserve, seule une première série de redondos de la main droite permit d’espérer : vibrante à défaut d’être aussi centrée que lors du premier combat. La faena sombra vite dans un corps à corps irrespirable entre deux boxeurs exténués, un quart de charge pour toute possibilité d’explication. Ureña, lessivé, eut beau se croiser et s’exposer des deux côtés, il n’eut d’autre choix que de porter un nouveau bajonazo perpendiculaire.
Emilio de Justo semblait porter en lui tous les espoirs de l’aficion française du sud-ouest reconnaissante et s’offrait une revanche de gala, 8 ans après avoir quitté Madrid sous les trois retentissements des clarines lors d’une corrida de Los Bayones. Pesonero (numero 131, né en mars 2014 et pesant 540 kilos) lui offrit une adversité pénible fondée elle aussi sur la faiblesse et la constance d’un coup de tête en fin de passe dès son entrée en piste, que le matador ne put jamais régler. Épargné au premier tiers, il permit à Morenito d’Arles de saluer grâce à une grande troisième paire spectaculaire, levant haut les bras et marquant les temps. Il sembla coûter à De Justo de se croiser et d’avancer la jambe, le derrote en fin de passe du toro venant gâcher quelques derechazos prometteurs, longs et templés. La tendance à coller, la faiblesse et le manque de recours du torero achevèrent de faire capoter la faena, conclue par une entière en arrière et une multitude de descabellos irritants. Tomillero (numero 24, 01/14, 550 kilos) eut le privilège de conclure la feria et de prendre la plus grosse ration de fer de la course en deux rencontres appuyées. Toro arrêté, dangereux face auquel Emilio de Justo servit une faena de porfia méritoire quoique sans espoir qui plut au public et lui permit de quitter les arènes sous les applaudissements et fort d’un cartel redoré. Le Victorino avait entre temps rejoint ses 150 et quelques congénères sous l’assaut d’une épée légèrement tombée.
Le roi salua toreros et ganadero dans un salon privé à l’issue de la course, occasionnant une gestion de la cohue à la sortie des arènes empreinte de la courtoisie propre aux forces de l’ordre espagnoles. Victorino fils, reçut pendant la course quelques lazzis des tendidos venant sanctionner la faiblesse et l’âpreté réservée et dangereuse de ses ouailles. Le lot déçut mais exigea beaucoup sans avoir beaucoup à offrir. L’ingratitude, défaut rugueux et grinçant.