logo

Obri(gado) bravo V


Épisode V : Ganadería Sobral (encaste Cebada Gago et Marques de Domecq) / Herdade Barbas de Lebre, Baleizão (Beja).


Par messages, les semaines précédentes, José Antonio Sobral s’était montré extrêmement sympathique et très disposé à nous faire découvrir son élevage qui, détail rare pour un élevage portugais, ne représentait pas une aporie migraineuse à l’heure d’en reconstituer la genèse et l’histoire. Comme José Antonio, la ganadería de Sobral est jeune, au bas mot l’âge d’un gosse entrant au collège, autant dire que dalle, deux générations de toros, même pas une vie de vache brave. C’est l’âge où le mot espoir n’a pas d’horizon et toi, tu es un poumon qui peut marcher à l’infini. C’est le rêve à voix haute sans peur du ridicule. 

Après la vente de la ganadería familiale de la Condessa de Sobral à Alvaro Domecq Romero en 2000, tout porte à imaginer que Manuel Francisco Passanha Sobral, le père de José Antonio, a traversé une bonne grosse crise de manque. De celle qui te colle des sueurs froides les nuits d’été, des tremblements devant les amis, qui te fait monter les larmes pour un rien qui te semble, à toi, une nécessité vitale, une évidence que tes tripes réclament, après laquelle elles hurlent et devant qui elles seraient capables de se vautrer comme on s’abaisse sans aucune dignité sous le regard dédaigneux de l’amour qui fout le camp malgré soi. Le mal coulait en lui, un démon que l’on ne chasse jamais et qu’il est douloureux d’enfermer à l’ombre, dans un recoin lointain de la caboche.

Alors, Manuel Francisco Braamcamp Passanha Sobral a replongé et dans sa rechute a entraîné ses fils, José Antonio et Manuel. Des terres qui lui revenaient, c’est dans la herdade au nom bizarre de Barbas de Lebre — barbes de lièvre — que l’ex futur ganadero débarque en 2007 un cheptel brave majoritairement labellisé Cebada Gago mais pas que puisque certaines bêtes trahissent leur origine Marqués de Domecq. « A nuestras manos llegan cinco vacas herradas con el hierro del Marqués ; con el de Cebada, neuve, y el resto con la B, de Bohórquez ». 

Si la famille Bohórquez fait partie des grands noms de la cabaña brava avec le fer de Fermín (Murube), trouver des informations sur cet Ángel, un cousin des connus, n’est pas une mince affaire. Son fer était inscrit dans une association secondaire et placé sous l’intitulé de Clara Bohórquez (avant cela la ganadería était annoncée comme Herederas de Bohórquez), autant dire un anonymat complet dissimulé dans le feuillage touffu de l’innombrable liste des élevages de toros de lidia espagnols. Rien ou presque donc si ce n’est une étrange affaire mise au jour en février 2006par l’entremise de Paco Apaolaza dans le quotidien La Voz de Cadíz. Le regretté journaliste y explique qu’un groupe d’aficionados madrilènes accuse Ángel Bohórquez d’avoir vendu des bêtes braves pour des parties de chasse illégales ; accusations qui auraient déclenché une investigation menée par la Asociación de Ganadería de Lidia à laquelle Bohórquez était affilié. Si l’accusé réfuta toutes les charges qui pouvaient peser contre lui, l’article nous apprend tout de même que le bonhomme n’était pas contre l’idée saugrenue d’inscrire le toro de lidia dans la liste des espèces pouvant être chassées arguant avant tout de l’intérêt économique d’une telle entreprise : « puede ser fuente de ingresos muy importantes para ganaderías presionadas económicamente ». Si l’on part du principe — mais peut-être est-il en train de disparaître — que l’afición a los toros ne peut s’entendre que par l’expression d’un immense respect dû au toro de lidia, gageons que ce cousin des Bohórquez de Fuente Rey n’était pas le plus grand aficionado de la région et encore moins le meilleur ganadero du bled puisqu’en terme de sélection, notre Ángel prônait des pratiques disons minimalistes confirmées par les dires de Manuel Francisco Passanha Sobral : « no tenía ninguna referencia de la vacas parque Ángel Bohórquez no apuntaba nada ».

Aficionado de peu, ganadero de pacotille ou pas loin, on ne peut enlever à ce Bohórquez le sens de l’hospitalité. En effet, à observer les robes des toros de Sobral, il paraît évident qu’il n’était pas dans son idée de compliquer la tâche de ses amis mais néanmoins clients chasseurs de safari. Ça pète de partout, ça contraste, ça sature, ça badigeonne le ciel bleu. C’eût été un safari digne d’un dancefloor des années 1980 et seul un bon gros bourrin déchiré jusqu’à l’oignon à la vodka discount aurait manqué sa cible.

Tout le monde l’a écrit et cela saute aux yeux : la ganadería de Sobral s’affirme aujourd’hui avant tout par la beauté et la variété des pelages. Mais la beauté est intérieure, aussi, et si l’on en croit les quelques reseñas parvenues jusqu’à nous, bon sang ne saurait mentir et le Cebada de Sobral a du caractère lui aussi.

Si la finesse du Gago domine la courte camada, deux ou trois castaños ojinegros rappellent au bon souvenir des vieux Marqués de Domecq, plus bastos et aux têtes un rien chatas.

Dans ce fatras de bariolage, deux toros negros très différents vont et viennent, tolérés par les autres. Ils sont les ultimes survivants des anciens Soler/Murube familiaux. Avec eux, il ne reste que deux vaches du même sang et José Antonio n’est pas enclin à l’optimisme. Son père a racheté très cher quelques femelles à Alvaro Domecq Romero mais l’entreprise touche à sa fin et ces deux toros noirs et laids de tête sont la chronique, réduite à rien, d’une mort annoncée. 

José Antonio et su novia – elle est membre de la famille qui possède le fer de La Quintase préparent à se rendre à Vic pour la féria. Ils cherchent un gîte. Pas trop loin. Bon courage.

José Antonio nous a dit au revoir avec un sourire bonhomme. Au bout du chemin, en prenant à droite vers Baleizão, sa haute stature dans le rétroviseur, loin, très loin de la réalité d’un marché taurin vendu aux coquins, au triomphalisme vulgaire et à la médiocrité, on a espéré recroiser sa route et celle de ses toros, un jour, autre part que dans les rues saoûles d’une fête patronale, les pieds dans le pipi.

à suivre…

Laisser un commentaire

*

captcha *