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Obri(gado) bravo VI

 


Épisode VI : Pinto Barreiros / São Torcato (encaste Pinto Barreiros) / Quinta do Vidigal et quinta Monte Branco, Arraiolos (Évora).


Montemor-o-Novo est ainsi nommée car il existe plus au nord une Montemor-o-Velho. Ou quand le pourquoi du comment est d’une simplicité déconcertante. Montemor-o-Novo est une grosse bourgade qui contemple au quotidien les langueurs du rio Almansor au coeur d’une zone rurale endimanchée  de Méditerranée bien plus que d’Atlantique. La mal nommée Reconquista qui fait gonfler d’orgueil la poitrine de l’Espagne ne connaissait pas de frontières, et, jusqu’à l’océan, les Arabo-Musulmans ont laissé malgré tout leur empreinte et leurs mots quand les Chrétiens ont perlé l’horizon de châteaux et forteresses qui couvent du haut de leur solitude délabrée les cités blanches et bleues contournées par les autoroutes et aujourd’hui ceinturées de centres commerciaux et de zones industrielles. La richesse de Montemor est fille de cette « reconquête » puisque la ville connut son apogée aux XV°et XVI°siècles parce que les rois portugais séjournaient à Évora, la voisine plus grande. Il s’écrit même que c’est à Montemor-o-Novo que le roi Manoel Ier Aviz dit le ventureux aurait pris la décision de financer l’expédition qui conduisit Vasco da Gama jusqu’aux Indes par le contournement de l’Afrique. Au sud, à l’est, à l’ouest et au nord, une armada de chênes-lièges donne le sentiment de se préparer au siège de la cité, soutenue sur ses flancs par de fiers oliviers ancestraux. À 90 km/h, la tête collée à la vitre, le regard dans le vague aidé par le silence, l’on passe en revue ces milliers de vieux briscards tordus et potelés, gonflés par une brise légère alanguie de tiédeur et l’on devient empereur d’une douceur mélancolique ou d’une mélancolie douce, perdu en soi, loin de la guerre, loin des heurts de la vie, loin du tumulte et loin des cris.
L’errance mène à soi.
L’a-t-il pensé, lui, au soir de sa vie ? Lui que l’errance poussa jusqu’aux derniers épuisements de l’âme humaine puis vers lui-même. João Ciudad est né en 1495 à Montemor-o-Novo qu’il quitta à huit ans pour suivre les pas incertains d’un gyrovague que l’époque catégorisait parmi les déclassés inquiétants. Échoué à Oropesa (Tolède), il devient berger dans la famille de Francisco Cid surnommé el mayoral. Épris d’aventures, le vagabondage pour seules armoiries, le jeune Ciudad tâte de la chair turque en Autriche dans les armées impériales de l’immense Charles-Quint en lutte contre le magnifique Soliman. Revenu, perdu, courant après lui-même, il vend des livres dans la Grenade nouvellement chrétienne et se pose, un jour, pour écouter le prêche de Juan de Ávila. Il se découvre à lui-même dans un cri qu’il hurle dans les rues de la ville : « Miséricorde » ! Enfermé à l’hôpital royal de Grenade, il y subit ce qu’y subissaient toutes les âmes perdues de l’époque. Passons sur la violence des pratiques destinées à chasser le mal qui grignotait le cerveau de ces « malades mentaux » que les murs de l’hospice avaient soin de cacher. Alors, João Ciudad n’est plus. Jean de dieu naît au monde et fonde des « maisons de dieu » pour venir en aide aux exclus, ses frères. Il décède le 8 mars 1550. Depuis on le fête, ce jour de ma naissance. 

Au campo, l’errance est intérieure. Les rendez-vous, les horaires, l’insupportable tracé du GPS sont autant de frontières érigées, malheureusement nécessaires, qui laissent peu d’espace aux déambulations réelles.
Pour une fois nous n’étions pas en retard. Il fallait prendre la route du nord, celle qui conduit à Coruche et qui passe par Lavre. Au sortir du village, on connaissait par coeur : à droite vers Pedrogão. On savait qu’en haut d’un virage, avant que le chemin ne descende vers un petit pont, il était possible de contempler un lot de toros. Il y a sept ans, ici, sous une pluie battante, un toro noir nous avait accueillis au milieu de la route, dans l’indifférence pour lui, la défiance pour nous.
Mais nous avions du temps et chacun vaquait à ses errances intimes dans cette traversée d’une armée verdoyante.

– Oh putain, regardez à gauche !

Certains veillaient et les toros sont toujours là.

– Oh oui ! Y’a du toro là !

– C’est chez qui ?

– Pffff, ça se voit non ?

– Connard !

– Je t’emmerde!

– Sérieux, on passe devant quoi là ?

– C’est Vidigal, une des fincas de Pinto Barreiros. Quinta do Vidigal.

– Sûr ?

– Oui sûr !

– Putain, mais y’a peut-être le lot de Céret là !!!

– Céret ? C’est quoi Céret ?

– Pfff… connard va !

– Oui y’a les toros de Céret et puis on va entrer comme ça et demander à voir le lot de Céret. Bonjourno senhor, montrez-nous le lot de Céret et après on se casse. On peut faire pipi aussi ? Un garage à vélo ? Ah c’est gentil et fort aimable noble chevalier, obrigado.

À cet endroit d’un dialogue si joliment fleuri, il convient d’imaginer l’érection lente mais irrémédiable du majeur de la main droite à destination des pensionnaires confortablement installés à l’arrière de notre carrosse. 

– Bon, on a du temps. On s’arrête !

L’entrée de Vidigal est discrète, un chemin de terre que l’on voit se perdre au loin sous les arbres. L’endroit est idéal pour satisfaire certains besoins physiologiques et la raison, la politesse, le soin de ne pas déranger réduisirent notre escapade vers les toros de Céret à la purge de nos vessies, bien alignés et parfaitement concentrés sur le soulagement offert par une si naturelle nécessité.
Pourtant, certains n’abdiquent pas ou difficilement. Vidigal oublié, c’est en sortant de la herdade da Murteira des Ribeiro Telles le lendemain matin que les toros de Céret recroisèrent la route de nos déambulations. Il fallait manger mais rien ne nous pressait pour rejoindre le rendez-vous pris avec la ganadería de Santa Maria. Ce fut donc inévitable comme lorsque l’on chute et que le temps d’une fraction de seconde tout devient suspendu alors même que l’on prend conscience, dans cette même fraction de seconde, que le contact avec le sol ne sera ni doux ni amorti : 

– On est à dix bornes de Monte Branco… y’aurait peut-être moyen de voir le lot de Céret.

– Et c’est reparti ! On verra rien ! On est pas annoncés, pas prévus. 

– Boh, depuis le chemin, peut-être que…

– On y va !

Et nous y allâmes et nous ne vîmes pas le lot de Céret ! À croire que le ganadero Joaquim Alves avait eu le mauvais goût de ne pas vouloir l’exhiber sur le bord de la route. Et puis, tout bien pesé, c’était mieux ainsi car les fundas portées par le lot de Céret auraient gâché notre bonne humeur et les saveurs de l’imprévu.

– Tu les verras à Céret tes São Torcato !

– Connard !

– Je t’aime moi aussi.

à suivre…

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