logo

7 juillet. La rumeur lointaine de l’encierro nous accompagnera toujours…

Pampelune, ses fêtes de San Fermín et son encierro quotidien qui se court dans l’aube de juillet, sont dans l’imaginaire collectif aussi bien que dans les cercles concentriques de l’afición vus souvent par le prisme d’un miroir déformant. Les récits d’Ernest Hemingway, les reportages télévisés, d’incroyables photographies ainsi que les retransmissions cathodiques en direct ont forgé au fil des ans l’un des plus grands mythes que connait le monde des taureaux. L’ondoiement rouge et blanc de la foule des coureurs, les rues étroites, les cris, les chutes, les coups de corne… l’encierro de Pampelune, ses images et ses bruits : tout dans cette angoisse fournit matière à légende.

A la différence de la langue de Cervantés dans laquelle on trouve nombre de publications sur l’encierro pamplonais, rares sont en Français les évocations livresques de la chose. Parmi elles, Le souffle dans le dos d’Emmanuel de Marichalar, ou encore « Les matins blêmes de Pampelune », chapitre inaugural de L’Habit de lumière, Voyage en tauromachie, recueil publié par Jacques Durand et Jacques Maigne au milieu des années 80. Aux côtés de ces deux ouvrages, le récit de Chapu Apoalaza, Le 7 juillet, paru outre-Pyrénées en 2016, traduit en Français par Thomas Dangoumau et publié par les éditions Atlantica, vient tout récemment de prendre place.

Journaliste, écrivain, Chapu Apaolaza exhume au fil de ce récit les souvenirs et les anecdotes de près de vingt ans d’encierros. C’est avec son père, au début des années 90, que tout commence pour lui. « Mon père nous a dit : « Ecoutez, vous allez vous sentir très mal avant, mais très bien après. Restez calmes. Ne commencez pas à courir dès le « boum » de la bombe, parce que ces bêtes-là vous rattraperont quand même, plus loin et davantage fatigués. Courez comme moi. Petit à petit. Démarrez au son de ma voix, quand je le dirai. Ecoutez-moi. On marchera et ensuite on courra. Dès que le premier pas sera fait, la peur s’en ira. N’accrochez personne et retire-vous sur la gauche de la rue. Si vous tombez, bien sûr, ne bougez plus une fois au sol et n’oubliez pas de toujours regarder vers l’arrière. Ne tournez le dos au toro pour rien au monde. » De ce jour qui fut le premier du reste de sa vie, Chapu Apaolaza se souvient que « tout s’est déroulé très vite. Il y a des gens qui racontent leurs encierros avec la précision des rêves inventés, mais la première fois c’est comme une grosse cuite express qui rend amnésique. Une glissade dans la douche. L’unique certitude fut l’extrême violence du torrent de jambes, de mains et de torses, comme une coulée de boue et un éboulement de pierres. »

La côte de Santo Domingo, la place de la mairie, la rue Mercaderes, le virage à angle droit dont la gauche « est un billet sans escale vers l’hôpital », l’interminable remontée d’Estafeta, la zone de Telefónica et l’entrée dans les arènes : Apaolaza tire chaque lecteur, comme par le bout d’un exemplaire roulé du Diario de Navarra,  dans les différents tronçons de l’encierro, dans le moindre de ses recoins. Il pulvérise les idées reçues, bat en brèche le lyrisme des cartes postales. De l’impression incroyablement bordélique que laisse aux spectateurs ce torrent matinal qui ne dure en général qu’entre deux et trois minutes, Chapu Apaolaza prend ses distances pour mieux expliquer les règles implicites et l’extrême codification de l’encierro. C’est l’envers total du romantisme, le contraire du folklore.

Le 7 juillet vaut aussi et surtout par la galerie de portraits qui sont ici brossés. Cette multitude de coureurs, unis en rouge et blanc par-delà les générations et les nationalités, s’incarne en des visages si divers. Rien d’autre au monde que cette « course insensée » ne les aurait rapprochés. D’ailleurs, en un temps où les désirs séparatistes cherchent à scinder plutôt qu’à réunir, Chapu Apaolaza illustre une haute idée de l’encierro, loin de celle qui consisterait à en faire un cachet identitaire, bêtement zoologique, réservé aux autochtones. Beaucoup de Pamplonais se lamentent de la massification de l’encierro (non dépourvue de réelles conséquences), alimentée par les retransmissions télévisées et les lecteurs tombés fiévreusement sur un exemplaire du Soleil se lève aussi. « En 2015, la majeure partie des coureurs étaient étrangers (54%). Seuls 10% étaient Pamplonais, 4% du reste de la Navarre et 32% du reste de l’Espagne. (…) Le 9 juillet 2014, le taux d’étrangers est monté jusqu’à 70%. Deux tiers des participants n’avaient jamais couru auparavant. Concernant le nombre excessif de personnes, il existe une littérature foisonnante et à chaque repas on déploie moult théories sur les mesures que Pampelune doit prendre pour « sauver » l’encierro et vider la rue de types qui s’y trouvent parce que c’est comme ça » précise Chapu Apaolaza avant de rappeler cette évidence : « Dans l’esprit même de l’encierro il y a le chaos, et le chaos est ou n’est pas. Il n’existe pas 72% de chaos. »

A l’égard de ceux qui ne sont pas d’ici, dans un chapitre déchirant consacré aux coureurs qui sur le pavé de Pampelune ont un jour laissé leur vie (16), Chapu Apaolaza exhume le visage et la silhouette de Matthew Peter Tassio, originaire de l’Illinois, mort le 13 juillet 1995 à 8h49 dans le regard d’un bénévole de la Croix-Rouge qui tentait désespérément de l’arrêter sur le chemin de l’au-delà. « La nouvelle court dans Pampelune comme une rafale de vent glacé. Comme si quelqu’un venait d’ouvrir un congélateur. Les coureurs, habituellement si durs avec les étrangers sans expérience, ressentent cette mort comme si un de leurs frères s’en était allé. La mort met tout le monde sur un pied d’égalité, ici aussi, et la confrérie de l’encierro reste toujours unie. Tous les morts deviennent ceux de Pampelune » souffle Chapu Apaolaza dans cette confession aux larmes retenues.

L’encierro, cette « forme primitive de tauromachie » comme l’écrivaient Jacques Durand et Jacques Maigne dans « Les Matins blêmes de Pampelune », porte toujours en lui son mystère et la beauté du 7 juillet est précisément de nous le faire partager plutôt que de chercher à le percer. Invité voici quelques années dans une université russe à parler de tauromachie,  Chapu Apaolaza rapporte cette anecdote : « J’ai parlé pendant deux heures et demie des coureurs, des toros, des toreros et des élevages, et à la fin du cours, une élève de vingt et un ans a levé sa main en premier.

-Je voulais vous demander pourquoi.

-Pourquoi quoi ? ai-je répondu.

-Pourquoi quelqu’un met en jeu ce qu’il a de plus cher, sa vie, pour être devant un toro ?

Pendant de longues secondes j’ai réfléchi à la manière avec laquelle je pouvais lui répondre. Je lui ai dit que, selon moi, il n’y avait pas qu’une seule réponse à la question, mais que sa question démontrait qu’elle avait compris tout ce que j’étais venu lui expliquer depuis si loin.»

A la terrasse du Café Iruña, dans les salons feutrés de La Perla, devant les pintxos un peu trop sophistiqués d’Alex Mugica, au comptoir du Bar Fitero, à celui du Bar Gaucho où l’anguille et le foie poêlé sont irrésistibles puis sous les platanes du Txirrintxa où tout en haut d’Estafeta l’on descend les vins d’Emilio Valerio, la rumeur lointaine de l’encierro nous accompagnera toujours…

Nicolas Rivière

 

 

 

 

  1. Anne-Marie Répondre
    Moi je vais tous les matins au 421 rue Fresque _à Nimes _ (je sais ) pour voir le top départ. Bon, c'est moins bien, mais c'est mieux que rien. Et j'adore.

Laisser un commentaire

*

captcha *