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Obri(gado) bravo X


Épisode X : Infante da Camara >>> Cunhal Patrício (mélange de plusieurs lignes Parladé).


On dit que chacun voit midi à sa porte et pour nous il était convenu qu’il serait 17 heures et que le mayoral se chargerait de nous montrer la camada. A 17 heures, certains auraient pu croire à la providence quand d’autres auraient volontiers parié sur une coïncidence heureuse, un hasard bienvenu. Le mayoral de la ganadería de Cunhal Patrício se faisait espérer, des enfants crapoudingues jouaient dans de la terre noire, le ciel balbutiait ses couleurs, l’air avait l’haleine fraîche. C’était ici que s’achevait notre balade, ici chez Cunhal Patrício, ce même lundi où Ribeiro Telles et Santa María avaient ouvert les portes de leur monde hérité des décennies auparavant des Infante da Camara. Le hasard, les coïncidences des calendriers de chacun, la magnanimité divine, et chacun verra midi à sa porte, avaient correspondu dans un formidable alignement des astres, des planètes, des feux verts et de la facture téléphonique pour nous offrir le même jour la découverte des trois ganaderías accouchées à mi-chemin du XX° siècle de la division de l’élevage de feu Emilio (hijo) Infante da Camara.

À 17 heures, le mayoral n’était pas là. Alors, en ce genre de péripétie, chacun jette un regard attentif aux cercados d’où montent les ruminements rauques de batailles épiques et poussiéreuses. Chacun voit midi à sa porte mais tous imaginent le bonhomme occupé à veiller ses toros, à nourrir les vaches, à galoper à contre-jour, la garrocha portée sans y penser, comme le prolongement du corps, ligne diagonale parfaite d’une photographie carte postale qui fera dire à vos amis : « Whaou, mais c’est trop beau le campo ! ». Mais la vie n’est pas une carte postale et rien n’interdit de penser aussi que pendue à l’extrémité de sa garrocha se balance la vie de tous les jours, celle qui te condamne à passer un coup d’aspirateur dans la berline familiale parce qu’elle en a assez de monter dans cette « porcherie » – c’est son mot – et que ses arguments sortent de sa bouche sous la forme de balles à tête chercheuse. À 17 heures, si ça se trouve, il est étendu sur son lit à faire le bilan d’une vie de célibat consacrée aux toros, à l’air pur et aux herbes folles. Il pense qu’il aime sa vie mais refuse de s’avouer avec plénitude, les yeux dans les yeux, qu’il aurait aimé avoir une femme bien à lui, ce genre d’épouse qu’ont ses rares amis du village et qui te dit qu’il faut passer l’aspirateur dans la caisse terreuse. L’idée lui traverse la tête, s’arrête un peu, pourrait se fixer un moment mais il la chasse comme on remue la main pour dégager une mouche à merde. On est le pire des lâches surtout vis-à-vis de nous-mêmes et la mouche revient toujours.

La lumière du jour s’amenuisait quand Daniel Coelho sortit de son 4×4. Les nuages noirs au loin apportaient la pluie, par intermittence. Il a eu l’air étonné de nous trouver là, malgré le rendez-vous conclu avec la « patronne ». Étonné parce que personne ne vient plus le visiter, lui et ses toros. Il y a encore quelques années, la camada pouvait satisfaire toutes les plazas et toutes les bourses. C’est ce qu’il nous avoua après, au milieu du cheptel de l’année un rien chiche, visiblement réduit à la portion congrue depuis que le succès a quitté par la petite route la ganadería de Cunhal Patrício. « On a réduit à une soixantaine de vaches. Alors c’est difficile de sortir un très beau lot aujourd’hui. C’est très desigual ». Dans la chronologie, Alberto Cunhal Patrício a été le premier en 1951 à racheter la part d’António, un des trois fils d’Emilio Infante da Camara.
Si l’actuelle finca se trouve au sud d’Evora, à Monte da Igreja, l’histoire des Cunhal Patrício est intimement liée à celle d’un village étendu le long de la rivière Sorraia : Coruche. L’autochtone prononce « crouche ». Du haut de la ville blanche, les plaines alentour se laissent contempler dans le calme des lieux, baignées du soleil métallique des première heures du jour. Parfois, seul le bourdonnement répétitif du moteur d’un avion d’épandage perturbe le panorama sur lequel on cultive le riz.
Dans un texte publié en 2012 sur le blog « La razón incorpórea », José Morente distille un passionnant article sur un certain Luis Patrício, éleveur de toros portugais aujourd’hui oublié mais dont la réputation de ganadero à la dure n’était plus à faire au tout début du XX° siècle. Avec force documents à l’appui, Morente présente les toros (et novillos) de Patrício lidiés à Madrid en 1903 et 1905 comme très forts et très méchants et précise qu’aucune figura de l’époque — et elles étaient d’un autre acabit que les usurpateurs actuels du titre — n’osa exhiber sa paire de couilles sous les cornes acérées des « Toros de Coruche ». Car c’est ainsi que l’afición espagnole avait fini par qualifier les toros de Luis Patrício, de Coruche, comme si le lieu faisait l’animal. À la fin de son texte, José Morente tente de faire un lien entre ce Luis Patrício et le fondateur de l’élevage actuel des Cunhal Patrício : Alberto Cunhal Patrício. Comme beaucoup de littérateurs un tant soit peu intéressés par l’histoire des élevages braves, Morente commet la même erreur que tous ses prédécesseurs et fait de Luis Patrício le père d’Alberto Cunhal Patrício alors qu’il n’en fut que l’oncle puisque le père se nommait… Alberto Patrício Correia Gomes. Dans son article, José Morente s’interroge sur le changement de fer survenu entre Luis et Alberto junior et la réponse pourrait être évidente : il ne s’agissait pas du même élevage. D’ailleurs, dans son ouvrage référence de 1957 — Ganaderías Portuguesas —, Antonio Martín Maqueda présente séparément les deux ganaderías, d’un côté celle de Luis Patrício dont le fer reprend les initiales du bonhomme et de l’autre celle d’Alberto Cunhal Patrício e irmão (un C dans un rond). Et l’on se dit que la lumière fut et la lumière fut. Erreur ! Il n’en va jamais simplement avec les élevages portugais car Maqueda commet un superbe anachronisme dans sa notice relative à Alberto Cunhal Patrício dont il évoque des toros lidiés en plaza de Montijo en 1898 aux côtés de ceux de Luis Patrício et d’autres. Problème : Alberto Cunhal Patrício est né en 1905, il lui était donc difficile voire impossible d’être ganadero sept ans avant sa propre venue au monde. À la fin, le flou demeure car il nous a été impossible de retrouver une mention de l’existence d’un élevage d’un certain Alberto Patrício à la fin du XIX° siècle ou au début du XX° siècle. La seule qui existe est celle de Maqueda, invérifiable sans se rendre aux archives municipales de Montijo ou de Coruche mais ce n’est pas la porte à côté. Pourtant, la vérité ne doit pas être loin et peut ressembler à ce qui suit : les frères Alberto et Luis Patrício Correia Gomes dirigeaient chacun un élevage propre à la fin du XIX° siècle et à l’aube du XX°. Alberto — dont on ne sait quasiment rien sur les origines du bétail — a légué le sien à ses fils qui le menèrent sous l’appellation Alberto Cunhal Patrício e irmão (l’irmão était Afonso Cunhal Patrício) et Luis est resté seul avec son bétail, longtemps de sang portugais mais remplacé au passage du nouveau siècle par du Veragua de chez Tres Palacios — ce qu’attestent d’ailleurs les photos des toros et novillos lidiés à Madrid en 1903 et 1905. À sa mort en 1922, La ganadería de Luis disparaît des écrans radars à moins qu’une autre version de cette saga familiale ne puisse s’écrire. Cette dernière version nous expliquerait que les frères Cunhal Patrício héritèrent en 1922 de la ganadería de leur oncle, changèrent le fer et liquidèrent le bétail pour le remplacer en 1926 par du Parladé acheté à José Martinho Alves do Rio comme l’écrit Carlos Abreu — Touros e toureiros em Portugal — en 1931 :  » La ganadería Alberto Patrício e irmão fut constituée en 1926 avec des vaches et des reproducteurs acquis à Alves do Rio…« . José Martinho Alves do Rio était le beau-père d’Alberto Cunhal Patrício ce qui peut aider pour acquérir du bétail. Mais le mystère demeure et n’intéressera que les fadas férus de généalogie et d’histoire. Pour tous les autres, il semble acter que les frères Cunhal Patrício mirent fin à leur aventure commune dans les années 1940 (1946 ?) en revendant leur élevage à d’autres frères, les Andrade.

à suivre…

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