logo

Obri(gado) bravo XI


Épisode XI : Infante da Camara >>> Cunhal Patrício (mélange de plusieurs lignes Parladé).


S’il subsiste une salle de réception dans laquelle de grandes et vieilles affiches du passé partagent l’espace vide et la sensation de temps suspendu avec des trophées non moins datés, l’impression première qui domine le lieu nommé Monte da Igreja est celle de la gloire passée et aucun indice ne présuppose qu’il y aurait une volonté de la retrouver. Les murs de la placita de tienta bavent un rouge cardinal sur une piste gigantesque où l’on sélectionne encore ce qu’il reste des Cunhal Patrício avec pour horizon premier les murs blancs délavés de la demeure des maîtres où l’on ne vit pas ou plus. La quinta des Cunhal Patrício a le charme bas-empire ou plus proche de nous, Vienne des années 1920. Les génies sont morts ou retirés, l’empire a chuté victime de lui-même, d’un vieil empereur blessé par la vie, d’une histoire de peuples trop complexe, de la modernité peut-être. On se satisfait de la fierté d’avoir été, on colle de vieilles affiches sur des murs qui désormais s’ennuient, on tente un nouveau semental, plus d’aujourd’hui, de la semence de sang neuf qui ne changera rien à la fin. Comme nombre d’élevages lusitaniens, celui de Cunhal Patrício compte parmi les victimes des deux grands cataclysmes qui ont marqué l’évolution du marché taurin du toro portugais ces quarante dernières années : la Révolution des œillets et, car nous l’oublions trop souvent, l’épizootie de Creutzfeldt- Jakob (en 2000 on estimait qu’environ 200 cas d’encéphalopathie spongiforme bovine avaient été mis à jour au Portugal) qui a redonné vie à la frontière entre le Portugal et l’Espagne à une époque où l’on nous serinait pourtant sans cesse les bienfaits de l’espace Schengen. Principe de précaution en étendard, les élevages portugais ont constaté en moins de temps qu’il ne faut pour l’écrire que les voisins espagnols et les amis français pouvaient aisément se passer de leur bétail. Un élevage comme Veiga Teixeira est passé en une temporada d’une dizaine de lots de toros presqu’exclusivement destinés à l’export à zéro. Clic clac, adieu veaux, vaches, cochons et bacalhao à l’ail et au persil. Beaucoup ne s’en sont pas remis et se sont vus contraints, pour sauver la ganadería réduite au seul marché portugais, de réduire drastiquement le nombre de têtes de bétail. 

C’est un peu ce destin que nous content les Cunhal Patrício de 2018. Certains sont beaux c’est indéniable mais tous ont ce petit défaut, ici de cornes, là de tamaño, qui trahit la difficulté d’homogénéiser les camadas. Depuis la création de l’élevage en 1951, tant Alberto Cunhal Patrício que ses descendants — Margarida Maria Cunhal Patrício jusqu’en 2008 puis sa fille Margarida Maria Patricío de Oliveira — ont œuvré pour tenter de trouver l’équilibre juste entre le dominant Pinto Barreiros – via principalement des apports Oliveira Irmãos –  et une influence très marquée par la ligne Tamarón grâce en particulier à un reproducteur venu de chez Vasconcellos e Souza d’Andrade en 1992 (ou 1995 selon différentes sources). Toro bas et musculeux, large de poitrail, le Cunhal Patrício est un Pinto Barreiros dont l’axe de symétrie pencherait fortement et sûrement vers le Parladé. Les annuaires mentionnent l’introduction d’un semental de Varela Crujo en 2008 mais force est de constater qu’il n’est pas évident de distinguer cet apport Torrestrella (c’est le sang dominant chez Varela Crujo) dans les caisses des Cunhal. 

Depuis 2008 et la disparition de la fille d’Alberto Cunhal Patrício, la ganadería appartient aux quatre filles de celle-ci mais c’est surtout Margarida Maria Patricío de Oliveira qui est aux commandes et qui tente de maintenir l’ensemble à flot. Quand il s’effondra durant la Première Guerre mondiale, l’empire austro-hongrois du vieux François-Joseph de Habsbourg n’arrivait plus à exhiber que les derniers ressassements d’une grandeur passée qui, couchée sur une carte d’état-major, cassait la tête de trop de couleurs, de trop d’ethnies, de trop de peuples et de frontières nationales (voire nationalistes) par lesquelles le mal s’était introduit depuis la poudrière des Balkans. Sans réussir à définir tout le sens qu’exigerait l’évocation de cette étrange et soudaine comparaison, c’est vers ce monde décadent de l’Autriche-Hongrie que me transporta l’observation des vieux murs de pierre percés de tiges longues et sèches caressées par le vent. Derrière, les toros bizcos ou les erales gachos (l’un fut surnommé fort à propos « Nabillo » tant sa corne droite faisait l’effet d’un téléphone greffé là – « non mais allo quoi ») se méfiaient de nous en vibrant de tout le corps, un instant figés dans leur majesté, prêts à charger, portés par les derniers feux de l’énergie du désespoir. 

Daniel Coelho, le maioral, s’est abrité sous l’avant-toit pour nous dire au revoir. La barrière de la langue n’explique pas tout et les mots ne sont pas son arme quotidienne. Mais deux ou trois suffisent pour transmettre la passion du toro malgré le désarroi et la chute de l’empire.

à suivre…

  1. Anne Marie Répondre
    Et si Laurent nous faisait un beau livre ? Je dis ça. ... On ne sait jamais.

Laisser un commentaire

*

captcha *