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Urdiales, le néant et la peste

Sainte Rosalie était une ermite fille de bonne famille Palermitaine qui passa sa courte vie retirée dans une grotte dans le plus profond dénuement et sauva Palerme d’une épidémie de Peste. Au détour d’une rue et d’une église lui étant consacrée, je lus qu’elle était « abogada » des malades : des fidèles laissent auprès d’elle des photos de leurs proches.

Les aficionados n’ont jamais le triomphe modeste à la grande loterie du choix des courses et les amis présents à la première semaine fanfaronnaient gentiment d’avoir vu « quelque chose » chaque après midi : qui Juli, qui les Véroniques de Morante, qui De Justo, Victorino, Roca Rey, Torrestrella, Galdos etc. Après une pause dominicale réservée aux turfistes, la deuxième semaine s’ouvrait avec la Juampedrada pour clôturer avec la Miurada dimanche. Tout miser sur une course – et une course de Juan Pedro / Parladé en particulier – sentait furieusement la carotte et le « tapis » suicidaire, mais les emplois du temps sont ce qu’ils sont et Urdiales avait remboursé tant de tickets en deux après-midis la saison passée que l’on avait un peu d’avance de trésorerie (de patience et d’espoir).

La Juampedrada donc, tout un concept moderne, virtuel, holographique. Un pot au feu vegan : navets, patates, carottes donc, parfois un os, mais sans moelle : en lieu et place, les tendidos se tartinèrent presque trois heures durant 7 exemplaires faibles et décastés indignes du terme de corrida de toros.

Insolation en tendido soleil au premier JP, « Médico ! » héla un voisin de la victime. « Para el toro » rétorqua le mien. Organista, probablement mortifié depuis l’incendie à l’idée de l’état de l’orgue de Notre Dame, promenait une faiblesse longue à fixer qui permit à Morante de briller à la cape avant l’apparition des picadors. Ne glosons pas sur les subtilités du dosage du Rebujito en fin de soirée : quand un torero interprète l’art de la Véronique dans sa version la plus templée avant les premiers saignements, il est légitime de douter de la longueur en bouche du produit. Alors Morante ? Des détails que les adeptes se délectent de savoir saisir : débuts pieds joints puis petite faena amidonnée. Pinchazo et estocade. À la mort du 3, les monosabios inondèrent le tiers de la piste sous la présidence, transformant cette partie en patinoire. Le 4 était le plus imposant du lot et s’en fut glisser sous la présidence, aggravant une faiblesse qui s’affranchissait pourtant de catalyseur. Mouchoir vert. Son remplaçant fut cajolé par le haut à la cape sans parvenir à dissimuler semblable faiblesse. Fuyant le marécage infra-présidentiel, Morante toréa sous le soleil entre l’orchestre et le toril, s’entêtant si bien à broder quelques joliesses sur les lambeaux de charge de son Juan Pedro bis que la Maestranza et le matador se fâchèrent contre la musique restée justement muette devant la sueur et le néant. Lacerado s’en fut se faire occire après un avis, deux pinchazos et une estocade à l’ombre qui gagnait. Quand la musique joua dans l’attente du cinquième, elle reçut les sifflets d’un public plus véhément sur les détails que sur le fondamental. C’était amusant, mais un peu longuet.

Manzanares affronta les deux Domecq approchant le plus du concept de Toro de combat. Ils permirent à ses deux picadors de briller en faisant apprécier leur science du dosage de châtiment en deux et deux rencontres pas toujours anodines. Le 3, Sinfonia, n’avait rien d’un enfant de chœur et fit passer un susto à Suso à la sortie de la première paire de banderilles (quite opportun à une main de Sánchez Araujo de la cuadrilla de Morante). Revanchard, Suso alla clouer à la troisième rencontre la paire de banderilles de l’après midi. Sinfonia n’était pas du genre à être invité à la caseta après la course : collant, se défendant, il offrait une matière brute noueuse difficile à façonner mais au moins la vague décence d’un physique valide. Le fils chéri de la Maestranza fit croire qu’il allait le mettre dans sa muleta sans vraiment y parvenir. Désastre surprenant à l’épée : 3 pinchazos, la carne avait donc des os mais plus de volonté de s’y mettre pour en finir. A la mort du 6, Mosquito, alors que les premiers señoritos avaient déserté pour le campo de feria, on s’aperçut que Manzanares avait taché le costume : le comment de la chose restera le grand mystère de la journée. Autre Toro pas complètement stupide et unique exemplaire vraiment valide auquel le matador entreprit de donner l’illusion de l’effort (lointain) sans convaincre qui que ce soit d’autre que les nombreux dévots et les convertis. Un nouvel échec à l’épée nous épargna la possibilité d’une oreille.

J’attendais l’adoubement de Diego Urdiales par Seville, le natif de la Rioja a tout pour y plaire (à l’exception du détail de la Rioja) mais ne put se révéler au public de la Maestranza avec un triomphe. Toutefois, le respectueux silence Sevillan qui accompagna l’attente du quite à son premier toro alors qu’une légère brise importune faisait voleter son capote témoigna de l’intérêt du lieu pour son toreo précieux. Nebli fut en effet recueilli par des Véroniques suaves, compréhensives, aériennes et esthétiques dans leur exécution qui mirent l’eau à la bouche. Le fameux quite sous le vent fut donné au ralenti, tout partait bien, sauf Nebli qui traînait déjà son invalidité. Pirri court et bien en deux paires fut ovationné.

La faena fut une démonstration pour l’aficion sévillane du superbe toreo d’Urdiales, classique, cristallin et emprunt de garbo, offrant la poitrine au moment du cite, plantant les talons dans le sable tout au long de la passe, ouvrant parfois les séries par de somptueux trincherazos à droite ou de face pieds joints à gauche, épée de mort en main, ponctuant de magnifiques. Public conquis en fin de faena sur deux splendides séries en rond. Sans jouer complètement les infirmiers, Urdiales dessina une faena ponctuée de nombreuses pauses. Ne manquait que l’essentiel, à savoir un toro. Une épée apparemment très basse le priva d’oreille. Le soleil jetait alors ses derniers feux, privant les gradins ensoleillés de pouvoir bien juger de la position de l’épée (c’était mon cas). Le soleil demanda donc un appendice, l’ombre resta impassible et la vuelta fut légitime. Le 5, alliait mauvaises manières et faiblesse indigne, parfait chantage pour éviter qu’on lui baisse la main. Rien à signaler.

Il est grand temps pour Juan Pedro d’organiser une procession de sa manade en l’honneur de Sainte Rosalie, à ce train-là, ses animaux moribonds vont manquer d’avocats pour défendre leur cause (l’auteur prie le lecteur de bien comprendre qu’il ne se fait en fait aucune inquiétude pour la prospérité commerciale de cet élevage). La peste soit de pareilles infamies.

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