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Abstention beaucairoise

Mon cher ami,

Je te prie de bien vouloir me pardonner de t’écrire à l’aide d’un papier carbone mais vois-tu tu n’étais pas seul à manquer à l’appel sous les frondaisons des platanes immenses tamisant la lumière d’un été encore tenace. Nous n’avons pas encore passé la moitié des vacances scolaires si mes comptes sont bons et les jours tiennent bon encore tard. Dans notre conception particulière du temps taurin, Céret constitue l’épicentre de la saison et tel le temps de soleil alloué, nous ne faisons, passé la Catalogne que nous précipiter vers notre propre fin. Tic tac tic tac, le rebours est enclenché. Je n’irai pas à Bilbao puisque personne ne m’y donne rendez-vous, j’espère simplement que je pourrai fin août donner des regrets en pâture à cette passion dévorante qui de plus en plus semble trouver ponctuelle satiété.

L’an dernier les Albaserrada de Fabrice n’avaient pas vraiment répondu aux attentes – mesurées – ni conféré un supplément de justification au plaisir de nous retrouver sur les gradins beaucairois. Ton absence n’a fait que peser d’avantage de responsabilités sur les six bicolores de dimanche. Car tel était le thème, qui en vaut d’autres ma foi : 3 Barcial et 3 Jara del Retamar. Tu ne manqueras pas de me demander le rapport entre le Vega Villar et le Vicente Martinez, eh bien voilà : le berrendo, en chaussettes pour les uns, apparié pour les autres. Je ne crois pas trahir de grand secret en te révélant que derrière cette alliance se cachait la prudence des organisateurs à l’heure de faire sortir pour la première fois en piste ces toros prisés dans les rues, de ne pas parier le résultat de cette unique novillada sur l’hypothétique comportement des animaux d’un élevage inédit.

Au matin, à l’heure de faire les lots et d’associer un Barcial à un Jara del Retamar, ces derniers, hauts, charpentés et anguleux se trouvaient au centre de l’attention répartis dans deux enclos quand les trois Vega-Villar plus ronds et bas vivaient paisiblement leur vie de variable d’ajustement groupés dans enclos plus vaste au fond duquel ils avaient pris leurs quartiers, loin des discussions de quadrilles. A l’heure d’embarquer, nous pûmes nous rendre compte que les Barcial étaient loin d’être ridicules et sérieusement armés.

Que manqua-t-il donc à la communication gardoise pour trouver si faible écho parmi les suspects habituels de la région ? L’idée avait pourtant des allures de défi cérétan d’une certaine façon mais j’ai dû réquisitionner deux Lyonnais en villégiature aux confins du Comtat Venaissin pour me permettre de regagner Nîmes à l’issue de la course.

Les quadrilles avaient opté pour faire sortir les Barcial en premier et je suis au regret de t’annoncer que malheureusement ce que nous craignions d’après les échos des dernières saisons n’a fait que se confirmer. Les quelques gouttes d’intérêt s’évanouirent dans les premiers tiers, seul le troisième donna quelques sueurs froides au jeune débutant Vénézuélien José Antonio Valencia et des inquiétudes quant à la faculté de celui-ci d’occire son opposant après s’être fait déborder à la cape et avoir abandonné la lidia à ses subalternes. Le toro prit trois piques sans style, seul le second poussa sur une grosse première. Le premier, moins rond, moins Barcial promenait mal son absence de caste sur une démarche claudiquante.

L’expérience Martinez début assez mal, quoi que de façon spectaculaire, sacrée présence physique, vol de planches et groupe équestre tournant tel une toupie sur la première rencontre, puis Trapecista s’en alla dans la pointe ombragée de l’ovale où se trouvait le toril et où il fallut bien administrer une seconde pique, banderilles, faena, épée comprise. Le regard inquiet du monosabio préposé à la porte nous amusa plus d’une fois quand le toro semblait songer aux acrobaties plutôt qu’à la poursuite du combat. Aquilino Giron resta inédit.

Le 5 démontra plus d’aptitude à la mailloche et Solera le reçut élégamment en ployant légèrement le genou et en menant bien les débats : 3 piques bien administrées par un picador qui reçut un prix. Puis Aguafuerte décida de graver sa présence au centre, sans trop de volonté de bouger et je dois dire que Solera qui ne m’avait guère convaincu à Arles pour Pâques a confirmé la bonne impression de Céret en inventant des passes et quelques séries liées à cet adversaire qui n’inspirait guère confiance. Deux pinchazos et une entière tombée ponctuèrent mal ce labeur inespéré et valurent un tour de piste mérité.

Désormais fort d’une expérience d’un novillo de trois ans, et d’un enthousiasme propre aux débuts, José Antonio Valencia reçut le 6 par deux largas mais laissa Merenciano (dont je ne me lasserai jamais de rappeler la qualité de Lyonnais – car c’est une qualité !) se charger de l’essentiel de la lidia puis la brega à un toro de plus en plus réticent à charger. Guère confiants, nous vîmes le petit Vénézuélien se planter devant et faire fi de tant d’hésitations, parvenant à arracher quelques passes à cet adversaire parcimonieux et apparemment réfléchi. Chaque cite donnait la désagréable impression d’une pièce lancée en l’air et je n’ose imaginer le sentiment de lancer la muleta face à un bestiau semblant concentré sur la meilleure façon de vous cueillir. Ce n’est qu’une fois la partie apparemment gagnée, après avoir pris l’épée, que le novillo souleva le jeune garçon, sans parvenir à glisser la corne.

Voilà donc ce que tu as raté, rien de rare certes, mais une course digne d’intérêt dans ses trois derniers chapitres et l’apparition de trois novillos magnifiques et anachroniques.

Tâche donc de te faire moins rare à l’avenir !

Je t’adresse une franche accolade.

  1. LUQUET Répondre
    Mon cher ami, Je vous donne rendez-vous à Bilbao le vendredi 23 août. Franche accolade Jean-François Luquet

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