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Histoire de chiffons rouges

Olivier Viaud, qui anime le blog Gascoun e toros, nous a gentiment autorisés à publier ce texte concernant la Proposition de loi déposée par des députées La République En Marche le 17 octobre 2019. Il s’agit d’un des textes les plus intelligents écrits ces derniers temps sur le sujet.
Vous pouvez retrouver les publications d’Olivier Viaud sur sa page Facebook : Gascoun e toros ou sur son blog éponyme : Gascoun e toros.
Photographie signée Olivier Viaud.

Depuis quelques semaines, un projet de proposition de loi visant à interdire les corridas aux mineurs agite une bonne partie du Sud. Après deux ans de silence, et parce que j’ai noté une soudaine affluence sur la page Facebook du blog (signe qu’une nouvelle fois l’aficion se resserre comme à chaque nouvelle charge contre elle), et parce qu’à m’ent donné il faut bien sortir de sa réserve, voici quelques mots sur le sujet.

Le 17 juin 2017, sur les bords de l’Adour, un toro de Baltasar Iban enlevait Ivan Fandiño à la tauromachie, et surtout à sa fille Mara. Il y eut ce jour-là la mort prématurée d’un homme de courage, et il y eut durant les jours qui suivirent le spectacle morbide d’hommes et de femmes dégoulinants d’éthique qui chantèrent et dansèrent sur le corps encore chaud d’un homme de 36 ans.

Ces garants auto-proclamés de « l’éthique » ont-ils eu durant ces jours d’euphorie la moindre pensée pour une petite fille de 6 ans qui pleurait son père de l’autre côté des Pyrénées ? Vu le manque de décence ambiant, il y a de quoi en douter. Et pourtant, cette nouvelle charge contre la tauromachie porte un nom, celui de la protection de l’enfance.

Protection de l’enfance ? Mais qui peut y croire ?

Qui peut y croire, alors que j’ai vu pendant des années le spectacle consternant d’une poignée d’hommes et de femmes « à l’éthique irréprochable » conspuer et insulter des parents devant leurs enfants à la sortie des arènes du Sud-Ouest ?

Qui peut y croire alors que j’ai vu des hommes et des femmes essayer de faire dire à de jeunes enfants devant leurs parents que les accompagner aux corridas était une souffrance pour eux ?

Qui peut y croire alors que j’ai vu ces mêmes enfants finir par pleurer, cachés derrière les jambes de leurs parents, alors que de parfaits inconnus les soumettaient à un véritable interrogatoire devant des caméras inquisitrices ?

Qui peut y croire quand des hommes et des femmes essaient d’expliquer à de jeunes enfants que leurs parents sont des sadiques maltraitants, au seul motif qu’ils vont voir des corridas ?

Personne n’est dupe. Tout le monde, ou presque, sait que les enfants ne sont qu’un instrument parmi d’autres pour parvenir à la fin de la corrida. Un cheval de Troie présenté comme éminemment « éthique » que les députés vont pourtant laisser entrer dans le Temple législatif français ; l’Assemblée Nationale.

La ficelle est tellement grosse qu’il est impossible de croire à la naïveté de quiconque sur ce point, et encore moins à celle d’Aurore Bergé, une communicante réputée incapable de profondeur dans ses prises de position qui suivent systématiquement la direction du vent, et dont les incohérences ne cessent de surprendre depuis une dizaine d’années. Ces dernières années pendant lesquelles elle a d’ailleurs travaillé pour deux agences de communication, dont celle qui a organisé tous les meetings du candidat Nicolas Sarkozy en 2012.

En communication politique, il y a une règle d’or : agiter un chiffon rouge quand la situation sociale se complique. Personne n’ignorait cet été qu’un automne compliqué se dessinait pour le gouvernement, dont Aurore Bergé est la porte-parole, avec au menu une réforme des retraites qui suscite traditionnellement l’hostilité d’une grande partie de la population.

Alors l’idée d’une proposition de loi sur un sujet aussi clivant que la corrida ne pouvait pas tomber plus à pic. Et il faut bien admettre que de ce côté-là l’opération est une réussite, puisque sans surprise les médias se saisissent abondamment de ce thème depuis plusieurs semaines. Au passage, je vous abandonne ici le soin de trouver l’autre leurre hautement clivant qui est actuellement agité par Aurore Bergé (entre autres). Que deux sujets hautement polémiques soient agités par la même personne en pleine crise sociale devrait tout de même interpeller sur la sincérité de ses intentions.

Ceci dit, cette stratégie grossière du cheval de Troie n’est pas forcément une bonne idée.

Aucune étude sérieuse n’étaye le caractère « maltraitant » de la corrida auprès des mineurs. Par étude sérieuse, j’entends une étude scientifique et rationnelle, chiffrée et argumentée par des éléments incontestables, et réalisée auprès d’un nombre significatif d’enfants. Bref, autre chose que le blabla habituel des anti-corridas présenté comme « éthique » et qui n’est rien d’autre que le fruit d’une projection de leur propre ressenti sur la psychologie des enfants des autres.

Nous vivons dans un pays cartésien où une interdiction doit se justifier rationnellement. Dans le cas contraire, on retournerait au Moyen Âge en redonnant les clefs de nos lois aux diverses croyances du moment, religieuses ou non. Notre pays de Droit, notre pays civilisé ne pourra pas faire l’impasse de plusieurs études de ce type s’il veut déposséder les parents de leur droit fondamental d’éduquer leurs enfants à leur convenance, et pas à la convenance d’un lobby anti-taurin.

Comment peut-on décemment expliquer à des parents qu’ils ont un comportement maltraitant quand leurs enfants les accompagnent aux corridas ?

Va-t-on leur expliquer qu’il vaut mieux un plateau repas posé à la va-vite devant un écran d’ordinateur pour préparer leur absence plutôt que de tenir la main de leur enfant sur le chemin ensoleillé des arènes ?

Quelle norme « éthique » cherche-t-on à imposer aux parents ? Celle de l’oubli ? Celle de l’indifférence ?

Va-t-on voir les députés, ces « parents toujours absents » interdire aux parents de partager du temps aux arènes avec leurs gamins ?

La corrida, au même titre que les matches de rugby ou de foot, que les visites de musées, que les pièces de théâtre, que les balades en forêt, et j’en oublie forcément, appartient à un vaste faisceau d’activités qui rapprochent les humains, et notamment les parents et leurs enfants, lorsqu’elles sont partagées.

La transmission, le désir de partager une part de soi, est un besoin dont on ne peut décemment pas priver un parent. Ce partage est une offrande que tout enfant a besoin de recevoir dans sa propre construction. Plutôt que la promesse d’une errance, cette transmission lui donne un chemin à suivre par défaut, chemin qu’il sera évidemment libre d’abandonner pour une autre voie plus personnelle quand il le voudra.

L’essentiel en tout cas est qu’il est bien plus sain de transmettre à un enfant ses objets d’amour que ses objets de détestation (suivez mon regard).

Au fait, ai-je déjà vu un enfant sembler souffrir d’être aux arènes ?

Non. Jamais.

N’ayant pas grandi dans une famille amatrice de tauromachie, je précise que j’ai vu ma première corrida vers 25 ans. Je n’avais d’ailleurs pas beaucoup aimé. Je me permets de le signaler car, de fait, je sais qu’aucune idéalisation de ma propre enfance n’est venue influencer les constats suivants que j’ai pu faire dans les gradins.

Au pire, j’ai déjà vu des enfants s’ennuyer et se sentir peu concernés. D’autres porter beaucoup plus leur attention sur « Jojo, le vendeur de pralines » que sur le spectacle en piste. D’autres s’amuser distraitement avec leur petit avion en plastique. J’en ai vu d’autres se faire expliquer les règles par leur père ou leur mère, et d’autres qui semblaient captivés par les toros, les toreros, les chevaux, les picadors, les couleurs, la musique, bref, par la course et ses acteurs.

Mais d’une manière générale, on ne peut pas nier la faculté que les enfants ont à « zapper » quand un truc ne les intéresse pas. Et clairement, c’est ce qui se passe quand la corrida en elle-même ne les intéresse pas.

Au passage, les meilleurs garants de l’absence d’une souffrance psychologique des enfants aux arènes sont encore les pires détracteurs de la corrida. Des centaines, voire des milliers de leurs vidéos circulent abondamment sur le net. Et qui peut croire que si certaines vidéos montraient des enfants en situation de souffrance, elles auraient été cachées par ceux qui camouflent leurs désirs d’abolition derrière le faux-prétexte de la protection de l’enfance ? Les mêmes qui ont pourtant une formidable capacité à maquiller un simple chagrin d’enfant suite au refus d’une friandise en un traumatisme sévère pour la vie… à cause de la corrida.

Faut-il s’inquiéter ? Les dérives possibles.

Difficile de se faire une idée sur les chances que cette proposition de loi a d’aboutir. Mon avis vaut peu de choses, mais cela fait plusieurs semaines que je dis ici ou là qu’il ne faut pas transiger sur l’exigence de la production de preuves d’une quelconque maltraitance de la tauromachie chez les mineurs. Une interdiction doit être légitimée par des preuves formelles. Et pas en levant un index mouillé pour prendre la direction du vent.

En outre, la levée de boucliers suite à l’annonce de ce projet, notamment des jeunes aficionados, est suffisamment forte pour que les députés comprennent que jamais ces jeunes aficionados n’ont été amenés aux arènes de force, et que cette tentative d’ingérence de l’Etat dans l’instruction culturelle que les parents ont envie de donner à leurs enfants a soulevé une réelle indignation.

Enfin, le fait qu’une Secrétaire d’Etat particulièrement courageuse (Geneviève Darrieussecq) se soit personnellement mouillée en faveur de sa culture taurine sans la moindre ambiguïté me laisse à penser qu’il n’y aura aucune consigne gouvernementale.

Mais au delà de ça, il appartient à toute la société de s’interroger. Si on retire aux parents le droit d’amener avec eux leurs enfants aux corridas, il ne tardera plus le temps où on voudra leur interdire de servir de la viande à leurs enfants au cours des repas, au motif que ces derniers ne sont pas encore en âge de se prononcer sur leur volonté d’être omnivores ou végétariens.

D’ailleurs, Samantha Cazebonne, la députée qui a déposé cette proposition de loi d’interdiction d’assister aux corridas pour les mineurs, a réussi à faire voter l’an dernier l’obligation de proposer un menu végétarien par semaine dans les cantines scolaires. Cette nouvelle loi prendra effet ce 1er novembre 2019. Un repas végétarien facultatif par semaine n’est évidemment pas une atteinte aux libertés, mais c’est encore un élément qui confirme que cette loi est plus portée par une motivation « animaliste » que par un désir de protection de l’enfance.

Bref, encore un leurre, encore un chiffon rouge que l’on nous agite.

Mais une seule muleta. Celle des toreros. Pour l’éternité.

  1. El Nuevo Répondre
    Merci beaucoup pour ce texte, je fais partie de celles et ceux qui n'oublient pas l'outrage à Fandino par des gens effectivement "dégoulinants d'éthique", je ne sais plus qui disait que le problème des bien-pensants c'est qu'ils ne pensent pas bien, ni ne chantent pas bien du tout.
  2. Beñat Répondre
    Pas la peine d'écrire de longs discours; il suffit de lire l'article 375 et suivants du code civil qui définit les critères de l'enfance en danger et n'importe quel ministre même peu cultivé comprendra que l'interdiction des corridas aux mineurs ne peut entrer dans les critères de cet article du code civil. Le seul cas de figure où un enfant pourrait être considéré victime de maltraitance serait si ses parents lui imposaient contre son gré la vision de ce spectacle.
  3. Anne-Marie Répondre
    Sur son compte twitter, Gabin Réhabi indique que la voix de Stallone est doublée en français par Alain Dorval, qui n'est autre le père d'Aurore Bergé. Pour ma part, je l'ignorais. Sachant que Sly aime la corrida, c'est un peu antinomique.
  4. Anne-Marie Répondre
    Rien à voir. Quoi que... Et le Cabrel, il n'a pas HONTE de venir faire son concert de m.... dans nos Arènes de Nîmes ? Gonflé quand même.

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