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Obri(gado) bravo XXII


Épisode XXII : Herdeiros de António Manuel Lampreia (Pinto Barreiros ligne Cabral Ascensão et Domecq ligne Marques de Domecq) – Herdade do Monte de Nossa Senhora, Aljustrel.


Des mois après, le trajet qui nous conduisit de Palmela à Aljustrel demeure un vide mémoriel parfait. Comme si tout avait été aspiré. Il y a fort à croire pourtant que nous échangeâmes nos impressions sur la ganadería de Vinhas que nous venions de quitter mais il ne s’agit que de suppositions tant aucune image ni aucun mot échangé n’accroche, même d’une superficielle égratignure, la dentelure de ma mémoire. Mais je ne désespère pas de la capacité de résistance de nos souvenirs. D’ailleurs, à l’instant où j’écris ces lignes, je me demande si nous n’avions pas évoqué de nouveau les fous rires suscités par une vidéo deux jours auparavant. Je revois les images entrecoupées, comme saccadées, d’une nuit étirée par les lignes blanches d’une autoroute déserte au cœur de laquelle il fallut à chacun d’entre nous de longues minutes d’expirations profondes pour mettre fin à notre hilarité déclenchée par ce semblant de reportage sur lequel deux cocos en vadrouille étalaient dans un « live facebook » leur terreur face à des… erales de… José Cruz. Les onomatopées doublaient les cris de bêtes puis se rabattaient en queue de poisson sur l’expression grandiloquente des inquiétudes concernant l’intégrité de leur véhicule pour finir par accélérer au loin abandonnant les deux cocos à ce constat de catégorie pour des erales de José Cruz : « Oh le Tío !!! ». Dans La minute de Monsieur Cyclopède, Pierre Desproges faisait la proposition d’égayer les veillées funèbres. Année après année, se rendre au campo n’est pas loin de ressembler à ce moment dramatique autrefois éclairé par les frêles soubresauts des bougies sur les murs devenus muets. La corrida meurt, le campo avec elle : égayons donc cette veillée funèbre de nos rires gras et moqueurs parce qu’en définitive on s’est bien plus fendu la poire sous le Bas-empire qu’au II° siècle !

Nous nous rendions dans la ganadería Lampreia et si les réseaux sociaux ont permis à certaines de devenir « visibles » malgré leur modestie, il fallait bien se rendre à l’évidence que très peu d’informations étaient mises à notre disposition concernant l’élevage fondé au milieu du milieu XX° siècle par Manuel António Lampreia et dirigé aujourd’hui par une petite-fille et un petit-fils, Maria et Joaquim Camacho Lampreia, enfants d’António Figueiredo Lampreia. Lui, d’ailleurs, est décédé en 2012. À la lecture des coupures de presse de l’époque, il fut retrouvé mort dans sa finca sans que personne ne puisse expliquer ce qu’il lui était arrivé, l’homme affichant alors une santé plutôt correcte. L’autopsie qui fut réalisée à Beja permit seulement de conclure à une mort naturelle qui contraint la famille à redistribuer prématurément les cartes de la succession : chaque enfant (quatre au total) héritait d’une finca mais seulement deux, Maria et Joaquim demeuraient sur les terres du Monte de Nossa Senhora sises à une branche d’olivier du gros bourg d’Aljustrel. Sous leur gouverne restait le bétail brave bien qu’il convienne de mentionner qu’une partie des vaches fut emportée plus au nord, à Viana do Alentejo, par une sœur de Maria et Joaquim, Ana Rita Camacho Lampreia, pour fonder avec son époux la ganadería de Monte Cadema. Les rares bribes d’information étaient contenues dans la fiche technique proposée par l’association d’éleveurs à laquelle appartient l’élevage : la G.L.U. ; autant dire trois pauvres lignes en guise de notice biographique pour un fer qui incarne finalement assez bien toutes les évolutions et tous les aléas qu’a connus l’élevage bravo lusitanien durant la seconde moitié du XX° siècle.

Gros paysan de la région minière d’Aljustrel, Manuel António Lampreia était aussi un éminent aficionado qui, comme c’était souvent le cas en ces temps-là pour ceux qui avaient les reins solides, s’offrit le luxe de fonder son élevage de toros bravos. Mais à la différence des copains, Manuel Lampreia fit le choix d’un croisement assez original pour débuter son sacerdoce : il croisa des vaches de Palha avec un semental de Antonio Perez Tabernero. On peut s’interroger sur l’origine des femelles de Palha car en 1945, la famille Palha a entamé depuis très peu d’années sa conversion radicale au Pinto Barreiros en délaissant ses Veragua / Miura. Sont-ce les restes des camadas de Veragua / Miura que les Palha vendirent à Lampreia ? Il serait légitime de le penser car une dizaine d’années plus tard, au coeur des années 1950, Lampreia élimine tout et le remplace par des acquisitions Pinto Barreiros via Aleixo, le Vizconde de Fontainhas et António Silva, l’incontournable António Silva qui en sus de quelques vaches vend à Lampreia le toro n° 206 nommé ‘Dormilito’. Après notre visite, sur la route qui nous menait chez Joaquim Brito Paes, son ami, direction plein ouest vers l’océan, Joaquim Lampreia m’apprit, au détour d’une question sur les origines de son élevage, que les deux familles Lampreia et Silva étaient intimes, à tel point que son père et celui de l’actuelle ganadera de Silva, Madalena Silva, passaient leurs vacances ensemble dans une station balnéaire proche de Huelva. Les enfants pataugeaient et se chamaillaient au pied de châteaux de sable sous l’œil de leurs mères qui les surveillaient en palabrant sans fin, on imagine, et eux, Silva et Lampreia foutaient le camp bras dessus bras dessous à quelque corrida ou tourada, redevenus de simples aficionados heureux de savourer leur péché mignon dans la compagnie de l’autre. Rendue au culte Pinto Barreiros, la ganadería de Lampreia subit un premier soubresaut en 1963 au décès de Manuel Lampreia, le fondateur. Si son fils, António Manuel lui succède, il semble que la transition s’avéra compliquée et que le retour à l’équilibre et aux résultats encourageants de la sélection du fils correspondit aux heures noires de l’élevage bravo portugais, en d’autres termes aux effets de la réforme agraire accouchée de la Révolution des œillets de 1974. Comme ce fut le cas pour beaucoup d’autres, les idéaux marxisants laissèrent l’élevage de Lampreia exsangue, dans un état proche du coma stade 2, avec pour horizon la seule espérance que dieu réponde aux prières insistantes.

à suivre …

  1. Anne-Marie Répondre
    J'ai encore appris plein de choses avec cette nouvelle étape, dont l'existence de la GLU, que je ne connaissais pas… Et il est écrit " à suivre", et ça c'est chouette !

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